Blind Lake de Robert Charles Wilson
« Il savait très bien
que, selon toute probabilité, il se trouvait face à sa
dernière chance de sauver sa carrière de journaliste.
Restait à savoir s'il voulait saisir cette chance. Comme
l'avait souligné Elaine, d'autres options s'ouvraient à
lui. L'alcoolisme ou la toxicomanie, par exemple, qu'il avait côtoyés
d'assez près pour en comprendre l'attrait. Il pouvait
également accepter un emploi de rédacteur de publicités
ou de manuels techniques et avancer incognito jusque dans une
cinquantaine paisible et respectable. Il ne serait pas le premier
adulte à devoir revoir ses aspirations à la baisse et
ne se sentait pas à plaindre pour cela.
Cette mission à Crossbank et
Blind Lake était arrivée comme un rêve d'enfance
trop longtemps différé. Un rêve éculé.
Il avait grandit dans l'amour de l'espace, avait chéri les
premières images des interféromètres optiques de
la Nasa et d'Eurostar – des images préliminaires incluant
les deux géantes gazeuses du système UMa47 (toutes les
deux avec d'énormes et complexes systèmes d'anneaux) et
une tache alléchante : une planète rocheuse à
l'intérieur de la zone habitable de l'étoile. »
Blind Lake sera le dernier roman de
Robert Charles Wilson que je lirai cette année en attendant la
parution en français d'Axis en 2008.
Dans un futur proche à la
géopolitique instable, un système quantique
incompréhensible permet d'observer une planète
lointaine avec un degré de précision stupéfiant.
Il est possible de suivre la vie d'un autochtone ! Mis au point par
hasard le procédé n'est pas compris par ses concepteurs
et les images obtenues bouleversent quelque peu les idées
préconçues sur la place de l'humanité dans
l'univers. Pour ces raisons, les sites d'observation astronomiques de
Crossbanks et de Blind Lake sont hautement sécurisés et
autarciques : le personnel est trié sur le volet, logé
sur place avec toutes les installations civiles nécessaires à
une vie de famille, seuls quelques travailleurs journaliers entrent
et sortent.
« Donc, dit Charlie, on a
vraiment deux projets de recherche en même temps : Hubble Plaza
essaye de trier les données et ici on tente de comprendre
comment on obtient les données. Mais on ne peut pas regarder
de trop près. On ne peut pas démonter les O/BEC, les
arroser de rayons X ou quoi que ce soit d'aussi agressif. En mesurer
un, c'est le casser. Blind Lake ne se contente pas de dupliquer
l'installation de Crossbank : il a fallu faire accomplir à nos
machines le même processus de développement, sauf qu'on
a utilisé les vieux interféromètres haute
définition à la place de l'Ensemble Galilée, en
abaissant délibérément la force du signal
jusqu'à ce que les machines chopent le truc, quel qu'il soit.
Il n'y a que deux installations de ce genre dans le monde, et toutes
les tentatives d'en créer une troisième ont
systématiquement échoué. On est en équilibre
sur la pointe d'une épingle. C'est de ça que vous
parlait ce type à Crossbank. Quelque chose de vraiment étrange
et merveilleux ce passe ici, et on n'y comprend rien. Tout ce qu'on
peut faire, c'est le pouponner en espérant qu'il ne va pas en
avoir assez et s'éteindre tout seul. Ça pourrait
s'arrêter n'importe quand. Bien entendu. Et pour n'importe
quelle raison. »
Alors que les cadres dirigeants sont
partis pour une conférence internationale et que trois
journalistes sont admis à Blind Lake, la quarantaine est
instaurée de l'extérieur sans explication. Le site de
Blind Lake est toujours approvisionné en énergie et
aliments mais est pour le reste totalement coupé du monde.
Très vite, les détenus prendront la mesure de leur
isolement en découvrant que des drones de combat mortels ont
été mis en place autour du complexe. La vie s'organise
alors dans ce nouveau contexte et les scientifiques continuent de
travailler faute de mieux. Or c'est à ce moment là que
Le Sujet, l'extraterrestre observé, change son comportement de
manière radicale : il abandonne sa cité et se lance
dans un périple à travers les étendues
désertiques et abandonnées de sa planète.
Robert Charles Wilson s'empare ici de
la mécanique quantique, très légèrement
et avec une certaine poésie tout en privilégiant
l'humain. Que ce soit avec Chris, journaliste sur le retour portant
plusieurs fardeaux sur la conscience, Marguerite, responsable
scientifique harcelée par Ray, son ex mari, responsable
administratif psychotique et leurs fille, Tessa, gamine de neuf ans
pertubée et sujette à des visions pour le moins
inquiétante et encore quelques autres personnes. L'action se
déroule sur des périodes clés, espacées
dans le temps, et est décrite selon le point de vue de chacun
des protagonistes.
Globalement, Blind Lake est un roman
paisible loin de la fureur de BIOS, Darwinia ou des Chronolithes.
L'évènement extraordinaire est ici une quarantaine
inexplicable sujet de toutes les spéculations, la majeure
partie de la narration concerne les protagonistes et le Sujet. Existe
t il un lien entre le comportement de ce dernier et la quarantaine ?
Comment fonctionne ces systèmes informatiques quantiques qui
se programment seuls ? Pourquoi cela fonctionne t il ? Et pour
encore combien de temps ?
L'auteur répondra a quelques
unes de ces questions tout en faisant évoluer ses personnages
avec maestria. Une lecture plaisante qui se laisse dévorer
très rapidement, pour un final très agréable
emprunt d'une magie qui m'a donné l'impression de sortir d'un
film de Miyazaki.
« Presque quatre mois de quarantaine, et on avait beau essayer de l'ignorer ou de la justifier, cela signifiait qu'il se passait quelque chose de prodigieusement mauvais – peut-être dehors, peut-être dedans. Quelque chose de mauvais, de dangereux et de caché qui finirait par venir avec bruit en pleine lumière. »