Les puissances de l’invisible de Tim Powers
1963, Andrew Hale est brusquement réactivé par son ancien mentor, l’enseignant tranquille replonge brusquement dans le monde de l’espionnage quitté suite à des évènements tragiques survenu en 1948. Mais qui est Andrew Hale ?
Derrière la guerre ouverte temporaire s’en déroulait une autre plus longue, secrète, commencée bien avant la naissance d’Andrew mais jamais apaisée – au-delà ou en deçà des radars et des gros titres, au cœur des régions frontalières éloignées et des corridors écartés des édifices gouvernementaux, là où se pratiquait le Grand Jeu.
Depuis l’enfance Andrew Hale, né d’un père inconnu est entretenu par un obscur service secret britannique, le SOE. Quandla Seconde Guerre Mondiale éclate, le jeune homme est manipulé par ses mentors et poussé à infiltrer un réseau d’espionnage soviétique en France. L’occasion de rencontrer sur place Elena, espionne soviétique d’origine espagnole et d’être confronté à des évènements étranges. A son retour en Angleterre, son trajet croisera celui de Kim Philby, agent double célèbre.
Ces trois espions se retrouveront encore à Berlin en 1945 et en Turquie sur le Mont Ararat en 1948. Toujours confrontés à des évènements défiant la raison.
Le cœur d’Andrew lui martelait la poitrine ; c’était la peur, il le savait, qui rétrécissait son champ de vision et lui picotait le bout des doigts, mais il savait aussi, saisi d’une exaltation électrique, que pour rien au monde il n’aurait voulu se trouver ailleurs en cet instant. Lorsque la scène prendrait fin, il l’oublierait, comme il avait oublié auparavant, mais aux rares instants où il affrontait le surnaturel, il découvrait toujours en lui une envie ardente d’aller plus loin, de participer en toute connaissance de cause de ce monde dangereux, vertigineux, tellement secret.
Des évènements extraordinaires évoqués par flashbacks dans la première partie du récit, tandis qu’Andrew est réactivé et envoyé confronté Philby à Beyrouth. Petit à petit à travers cette histoire d’espionnage, une réalité occulte est peu à peu dévoilée qui n’est pas sans évoquer Machen ou Lovecraft (en moins visqueux et gluant pour ce dernier).
Philby, dans son arrogance, s’était visiblement toujours estimé capable de trahir son pays sans avoir la grossièreté de… de se tromper de fourchette, de mal tenir l’alcool, de ne pas savoir citer Euripide avec l’accent attique, d’avoir peur de mourir. Malgré ses reniements, c’était un pur produit de l’antique Empire britannique, un diplômé de Westminster et de Cambridge habitué aux privilèges de la classe supérieure, chez lui dans les clubs sélects de Pall Mall comme l’Athenaeum ou le Reform. Toutefois, ayant renoncé à la loyauté, l’honnêteté et la foi, il risquait fort de s’apercevoir que le courage aussi n’était plus qu’une plate-forme sapée incapable de le soutenir. Se transformer en prolétaire vivant à Moscou le révulsait peut-être, mais moins que devenir un aristocrate mort à Beyrouth.
Roman d’espionnage donc portant tant surla Seconde Guerre Mondiale que la Guerre Froide, trio de protagonistes mystérieux, personnages secondaires bien campés, valse des loyautés, la recette est connue et efficace. A cela s’ajoute une dimension fantastique, l’histoire légèrement revisitée avec talent sans verser dans l’uchronie.
Les puissances de l’invisible n’est pas un thriller, mais est néanmoins prenant. Il s’agit plutôt d’un texte érudit qui se déguste lentement. Le petit monde de l’espionnage est admirablement rendu et l’intrigue très bien menée. Ce premier contact avec Tim Powers est très concluant et je reviendrai vers lui en 2010.