A deux pas du néant de Tim Powers
La grand-mère, très originale, de Frank Marrity, décède de mort naturelle au sein d'une convergence harmonique au milieu d'un swastika en or. Seul problème, elle avait appelée son petit-fils depuis son domicile quelque minutes avant sa mort huit cent kilomètres plus loin...
Orphelin, élevée avec sa soeur par sa grand-mère, Frank est également veuf et élève seul sa fille Daphné âgée de douze ans. Une tâche qui lui semble parfois insurmontable mais leurs liens se resserrent dernièrement du fait d'une communion télépathique fluctuante les unissant.
Il regretta une fois de plus, mais plus intensément que d'habitude, que Lucy eût quitté ce monde en le laissant seul avec leur fille. Même à deux, les parents n'avaient pas une tâche facile. Il se remémora un passage d'un texte de Chesterton :"Bien que cet enfant soit bien meilleur que moi, je dois me charger de son éducation. Bien que cet être ait des passions bien plus pures que les miennes, je dois exercer sur elles mon autorité."
Daphné se rongeait les ongles jusqu'au sang ; depuis deux ans, à tout le moins.
Je fais mon possible, se dit-il en essayant de s'en convaincre ; puis il se demanda combien de fois il avait effectivement fourni le meilleur de lui-même, et pendant combien de temps.
Le message de Grammaire Lieserl, indiquant l'incendie d'une cabane, Frank et Daphné se rendent sur les lieux et à défaut d'incendie découvre quelques curiosités dans la dite cabane : la correspondance de leur aïeule avec quelqu'un qui semble être Albert Einstein, une dalle en béton portant les empreintes de mains de Charlie Chaplin ainsi qu'une cassette vidéo anodine... Alors que de retour chez eux, Daphné sera victime du contenu de l'étrange vidéo, deux organisations secrètes entrent dans la danse. La mort originale de Grammaire a attiré leur attention et tant la mystérieuse et millénaire Vêpres que le Mossad entendent bien mettre la main sur l'héritage occulte d'Einstein.
Rascasse se penchait sur l'abattant du secrétaire pliant pour regarder l'extérieur par une des fenêtres de droite. Charlotte se transféra derrière ses yeux et vit des taches lumineuses orangées dans les montagnes.
"Des incendies se sont déclarés d'ici jusqu'à Humboldt, Trinity et Siskiyou, commenta Rascasse. Tous provoqués par la foudre qui s'est abattue hier, aux alentours de midi.
- Un projectile de calibre 50 soulève de la poussière dans son sillage, et il est indéniable que Lieserl Marity s'est déplacée encore plus vite."
Les évènements se compliquent et s'accélèrent alors surtout avec l'entrée en scène de Derek Marrity, le père de Frank, disparu trente ans auparavant... Alors que Frank s'allie au Mossad, le prenant pour la NSA, Derek prend fait et cause des Vêpres si ces dernières acceptent d'éliminer Daphné... Elle même harcelée par un esprit aux formes et à la culture surprenante.
La voix qui s'élevait du téléviseur se fit suppliante. "Daphné, tu n'as qu'à hocher la tête ! Quand le feu se sera propagé, il sera trop tard.
- Ne fais rien, Daph !" gronda Frank en avançant vers l'appareil.
Il ne pouvait croire que ce personnage s'adressait à sa fille, mais tous les poils de ses avant-bras s'étaient hérissés.
"Nul n'est capable d'éteindre ce qui n'est pas allumé, déclara l'homme resté sur le seuil. Il faut ordonner à Matt de s'en aller."
Marrity avait des vertiges et titubait, mais l'urgence présente dans la voix de l'inconnu ne lui avait pas échappé.
"Va-t'en... Matt !" lança-t-il d'une voix rauque au personnage aux traits taillés à coups de serpe visible sur l'écran.
Un instant, les yeux qui n'étaient que des cercles noirs sur un fond sans détails parurent le dévisager et son impuissance lui donna des sueurs froides. Puis le coup de crayon d'un bouche se scinda pour s'ouvrir et se clore, et Frank entendit sans que le son et l'image soient synchronisés pour autant :"Lorsque tu vins pour la première fois, tu me caressas et tu fis grand cas de moi."
Un nouvel extrait de la La Tempête - La Tempête, une fois de plus ! - et Frank emprunta à Prospero ce qu'il avait répondu à Caliban :"Hors d'ici, fruit de la semence d'un démon !" Les contours irréguliers du personnage oscillèrent, ce qui l'encouragea à ajouter, en proie à des étourdissements :"Tu regimbes, immonde créature ? Allons esclave, sors d'ici !".
- Schneid mal die Kehle auf, laissa échapper la chose avant que sa face déjà réduite à sa plus simple expression n'explose en lignes privées de signification.
L'écran s'assombrit... et Frank recula bien vite . Il était convaincu que s'il avait pu grimper sur quelque chose pour le toucher, le dessus de l'appareil eût été froid.
Ou brûlant.
Mais l'enjeu véritable de cet enchevêtrement inextricable reste la machine à voyager dans le temps et l'espace d'Einstein, quelque peu améliorée par Chaplin...
Société occulte, espionnage, parapsychologie, mécanique quantique, voyages dans le temps, vie d'Einstein et de Charlie Chaplin, les éléments composants ce roman sont surréalistes et on se demande si le résultat ne va pas être totalement indigeste. La réponse est non, le récit est parfaitement maîtrisé, rien n'est laissé au hasard ou négligé, le grand écart temporel entre les années 20 et 2000 tient la route, les jalons temporels permettant l'implication des divers éléments ou protagonistes de cette histoire. Un texte étrange, surprenant mais doté d'une galerie de personnages très humains et attachants, mention spéciale à Frank Marrity et Lepidopt, l'agent du Mossad. Un très bon moment, original, dont on ne peut prédire la fin.
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