Un monde d’azur de Jack Vance
« Il entra dans le bungalow et se versa une coupe de
vin, puis retourna rêvasser sur le banc. La sérénité du ciel et le calme des
eaux l’apaisèrent et il finit même par sourire de sa propre véhémence jusqu’au
moment où, son regard venant se poser sur l’endroit dévasté dernièrement par le
Roi Kragen, sa mauvaise humeur le reprit de plus belle.
Il observa pendant quelques instants les signaux
lumineux et cela ne fit que le confirmer
dans son opinion que le style de Zander toujours fort dépouillé se desséchait à
l’extrême. Comme il se retournait il aperçut un remous noirâtre à la surface de
l’eau, tout contre le filet de protection : une masse sombre et luisante,
au milieu des herbes marines et des lianes aquatiques, que les remous de l’eau
entouraient de festons scintillants. Il s’approcha du bord et écarquilla les
yeux pour mieux voir dans l’obscurité, totale maintenant. Un petit Kragen
essayait de pénétrer dans le lagon de Tranque malgré le filet
protecteur. »
Des criminels transférés en vaisseau spatial se
révoltent et échouent leur engin sur une
planète inhabitée totalement dépourvue de terres émergées.
Dix générations plus tard une civilisation s’est constituée
sur les gigantesques plantes aquatiques qui prospèrent le long de l’équateur.
L’absence de terres émergées et le climat doux et constant ont donnés lieux à
une société primitive où le recyclage est un mode de vie, les os humains
constituant la plupart des outils.
Tout irait pour le mieux si les humains n’étaient victime
des kragen, créatures marines intelligentes qui viennent piller et ravager les
cultures. Le pire de tous étant le Roi Kragen, monstre de vingt mètres de long,
dont les humains achètent la protection à coup d’offrandes.
Sklar Hast, jeune homme impétueux, décide que la coupe est
pleine quand un jeune kragen vient roder autour de chez lui et que le Roi
Kragen ne daigne pas se montrer et assurer sa part du Pacte, à savoir protéger
les humains des kragens. Avec quelques autres sous le coup de la colère, ils vaincront
la créature qui les terrifie depuis des générations.
Le temps de la soumission semble terminer mais c’est sans
compter sur la caste des médiateurs qui prospèrent grâce à leur monopole de la
communication avec le Roi Kragen.
Très vite l’adversaire ne devient pas la créature mais les
tenants de l’ordre établi, aussi inique soit il.
Avec « Un monde d’azur », Jack Vance propose un
magnifique récit sur la résistance et les mécanismes de l’autoritarisme. Assez
court, ce roman se dévore en quelques heures et est difficile à abandonner une
fois commencé. Certainement l’un de ses meilleurs textes.
« Vu de loin, le Roi Kragen ressemblait à un ogre difforme en train de nager la brasse. Ses yeux antérieurs au fond de leur tube corné semblaient regarder en direction de l’îlot et se fixer sur la masse mutilée du kragen. Les hommes de leur côté le fixaient fascinés, les muscles aussi raides que la tige d’une plante marine. Le kragen qu’ils avaient capturé et qui leur avait semblé tellement monstrueux, semblait maintenant une miniature, une poupée, un jouet. »