Blanche Neige contre Merlin l’enchanteur de Catherine Dufour
Sous ce titre improbable se cache les deux derniers opus de
la série fantasy de Catherine Dufour, soit Merlin l’ange chanteur et
L’immortalité moins six minutes (tome 0).
Merlin l’ange chanteur
Petit saut en arrière juste après les lance-missiles de
Blanche Neige, un archange et un angelot se trouvent piéger sur la Terre
désormais plate trop loin de Dieu pour faire le plein d’énergie… Chacun dans
son coin, ils chercheront à faire le plein de Foi pour survivre. L’un se
vautrant dans la cruauté tandis que l’autre opte pour le compassionnel.
Il ne restait plus à l’Archange qu’à identifier sa prochaine proie tout en se méfiant du cercle de maris jaloux qui orbitait autour de son arbre. Car avec son sourire mielleux et son profil de médaille, il traînait après lui tous les cœurs ayant du goût pour le fadasse, et les casseroles qui s’ensuivent. Il fallait être un vieux roi, habitué à chasser l’aiguille empoisonnée dans les cheveux de ses épouses et les assassins dans sa pouponnière pour mettre immédiatement un nom sur son regard gelé. Le reste du monde manquait de vocabulaire, et se contentait d’y lire ce qu’il avait envie d’y voir écrit : Sainteté ou Amour. C’est pourquoi la nuit, un grouillamini de femmes en rut et de maris soupçonneux ou en érection faisait bruire les fourrés aux alentours de l’arbre de l’Archange qui, la bouche emplie de Foi luisante, souriait.
Puis il disparaissait brusquement, laissant derrière lui un
arbre sacrée, une couronne de regrets, des légendes dorées, des chansons
légères et, comme un accompagnement de basse, une fine ligne de rumeur plus
noire que l’enfer.
La situation change radicalement quand l’Archange réalise le potentiel de la religion monothéiste et commence à vouloir la propager en Grande Bretagne… L’occasion de donner du corps à un sage nommé Merlin tandis qu’il devra croiser le fer avec la fée Calmebloc, renommée pour l’occasion Valériane. Le mythe arthurien revisité avec humour, opposant une fée, toujours quelque peu déconnectée du réel, face à un autre immortel expert en manipulation et parasitisme.
Il n’en reste pas moins que Merlin finira par se faire
coincer et l’humanité d’évoluer sur la voie monothéiste pour son plus grand
malheur. Jusqu’aux Lumières, l’Archange n’aura pas à se forcer pour lancer
toutes sortes d’anathèmes religieux que les humains adopteront facilement pour
se massacrer les uns les autres au nom de la religion. Bref un
bon résumé des horreurs chrétiennes du Moyen Age aux Lumières en Europe.
L’Angelot se sentait couvert d’une sueur glaciale. Il cacha ses mains sous ses fesses, pour qu’elles arrêtent de trembler. Il se sentait aussi colliqueux que jadis, quand il luttait en vain contre la Grande Peste.
« J’ai déjà vu des animaux tuer leurs petits, mais au moins, c’était pour les bouffer, marmonna-t-il.
- Ce ne sont pas des animaux, fit remarquer l’Archange, ce
sont nos proies. Et si tu t’obstines à les considérer comme des créatures à ton
image, tu vas coaguler du bocal. Parce que personne n’a envie de ressembler à
ça. J’ai peut-être lancé la chasse aux sorcières mais ce n’est pas moi qui les
torture. Ni toi. Ils se l’infligent tout seul. Je n’ai pas encore trouvé de
limite à leur imagination malsaine. »
Dans ce roman Catherine Dufour passe d’un ton léger à un humour noir beaucoup plus grinçant avant de conclure dans le futur en prolongeant l’intrigue de L’ivresse des providers, l’occasion pour Blanche Neige de refaire une apparition éclair. L’ensemble est donc contrasté, l’ambiance changeant régulièrement, évitant toute lassitude.
Plus qu’un prolongement du cycle au final, il s’agit bien de l’histoire de deux anges déchus et de leurs luttes au fil des siècles. Un texte presque aussi noir que le Goût de l’Immortalité mais considérablement allégé par de l’humour. Bonne pioche.
L’immortalité moins six minutes (tome 0)
Avec cette pré quelle, nous retrouvons un monde plat et sans humain. N’y vive que des nains et des ogres en bonne harmonie, troublée occasionnellement par les facéties des créatures éthérées (fée, lutins et compagnie) qui hantent les campagnes.Tout dérape quand un amant éconduit de la fée Babine Babine, sabote le matériel magique de cette dernière, donnant naissance à un miroir magique franchement malsain. Le genre d’artefact capable de mené à la fin du monde…
Ni une, ni deux, Pétrol’Kiwi et Primprenouche abandonnent
leur activités habituelles pour sauver Babine Babine de sa contemplation
narcissique. Pendant la désintoxication de leur amie, les deux fées devront se
charger de se débarrasser de l’affreux objet. Sans oublier de faire un crochet
pour punir un certain ex amant malfaisant.
Les voilà donc embringuer dans une quête, une saloperie qui
vous colle aux pattes, vous entraine dans des lieux ennuyeux et sordides après
toutes sortes d’épreuves. Pour gagner du temps, les deux fées décident d’aller
visiter un autre monde spécialisé dans les quêtes, espérant bien trouver des
indices quant à la conduite à tenir. Une décision pas franchement avisée quand
on vois les cartes que les deux fées avaient en main dès le départ, mais la
logique ne semble pas être le fort des fées. Et puis on n’échappe pas à une
quête facilement même quand on est immortelle et quasi omnipotente.
« Disons que les gens de Bas-Bord sont, non pas guindés, mais sérieux. L’amour y est courtois, l’hospitalité sacrée, le nationalisme exacerbée et toutes ces choses. C’est la terre du lieu commun.
- Magie ?
- Oh oui, grimaça Pimprenouche.
- Côté obscur ?
- Nan ! Côté lourd. Ca t’érige des tours de vingt kilomètres de haut qui tiennent debout sans remblais pendant cinq cents ans mais, dès qu’il s’agit d’invoquer un misérable verre de vin, ça fait sa coquette. »
Bref voilà notre paire de fées lâchée dans un monde où elles ne peuvent user de magie sous peine d’attirer l’attention de la monstruosité sub-éthérée locale. Limitée à leur sens magiques, elles devront apprendre à survivre comme le mortel moyen et subir toutes les petites tracasseries qui empoisonnent la vie de ces derniers. Par contre pour la quête c’est le gros coup de bol, une erreur d’aiguillage leur permet de tomber dans un bled de nains, quelques heures avant un anniversaire extraordinaire. Bienvenue dans la Terre du Milieu !
Repérant un pauvre bougre chargé d’un mystérieux objet
maléfique, elles lui colleront au train espérant résoudre leur quête en suivant
son épopée.
Les deux fées se recroquevillèrent tandis que le cheval
approchait, dans un bruit sépulcral de sabots ferrés, d’éperons tintant et de
plaques d’armures s’entrechoquant. Il les dépassa en encensant bruyamment,
s’arrêta à la hauteur des nains. Une onde sub-éthérée, d’un noir absolu, éclata
au-dessus de leur tête. Il y eut des bruits désordonnés, le cheval hennit, se
cabra, Pétrol’Kiwi se prit une bûche en pleine poire et les nains se
carapatèrent sur la pente raide, encombrée de rejets et de souches, où le
cheval infernal fut bien incapable de les suivre, tandis que son cavalier
poussait un cri aigu, plus horrible encore que le hurlement des arbres.
Une bonne occasion de tourner en dérision les scènes clés du Seigneur des Anneaux, enfin surtout celles du film, avec intelligence et légèreté. En chemin, les deux fées coopterons un autochtone réprouvé (pas Gollum) et se moquerons ouvertement de la manie du héros à prendre systématiquement la pire décision. Situation nuancée par l’inadéquation des deux amies avec leur environnement.
Tout en martelant intelligemment l’histoire de Tolkien, Catherine Dufour déploie son humour léger et parfois légèrement scatologique. Sa parodie est agréable, bien menée et surtout ne se limite pas à cela. En effet une fois la quête bouclée, l’histoire se poursuis dans le monde d’origine des fées, appliquant la recette de Pratchett, à savoir de l’humour, de la noirceur et de la tendresse.
« Mais tu verras ! Un jour, ils en feront de l’assez bonne littérature. »
Pétrol’Kiwi haussa les épaules :
« Je vois ça d’ici : des contes dits par des idiots, pleins de bruit et de fureur, et qui ne signifient rien. »
Malgré mes préventions vis-à-vis ce cette parodie, l’Immortalité moins six minutes c’est révélée très agréable, prenante et bien foutue. Un très bon roman de fantasy qui semble plus écorner les poncifs du genre (en incluant ceux des jeux de rôle) que le roman de Tolkien.
Bref un excellent moment, Catherine Dufour ayant réussi ici a compléter son univers de manière drôle et agréable.