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Les lectures d'Efelle
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2 novembre 2014

Dernières nouvelles d'Oesthrénie d'Anne-Sylvie Salzman

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C'est parce que Juras et moi les visitons tous les ans avec obstination, dit Finlay, que les gens de là-haut nous regardent maintenant avec une certaine curiosité. La première fois, on m'a jeté des pierres, et l'on a laissé des oiseaux morts sur le lit où je dormais, à l'auberge de Kurmaneh, et d'autres animaux devant la porte, jusqu'à ce que l'aubergiste me chasse. Certains me montraient du doigt et me disaient policier de Vienne. D'autres pensaient que je venais chercher le roi, ce qui leur faisait craindre un grand désordre. La plupart simplement n'aiment pas les étrangers. Je n'ai jamais cherché le roi lui-même. A quoi bon ? Quelle guerre ridicule ce pays pourrait-il mener contre les Autrichiens, contre les Russes, contre les Roumains, contre les Turcs, contre tous ceux qui vous convoitent et voudraient vous dépecer ? Je traquais simplement les champs de bataille et les armées du roi, ses chapelles, ses campements. Je voulais voir sans doute ce bout de prairie penché où il reçut, dans la nuit, les brûlure de la foi.

Récits d'un pays miniature d'Europe Centrale au crépuscule du XIXeme et à l'aube du XXeme siècle, récit d'exilés ou de défunts... Histoire d'un pays enclavé entre mer et montagne, dans l'attente du retour d'entre les morts d'un roi caché, icône d'une hérésie chrétienne... Les différents récits de ce recueil sont plutôt sombres, portés par des êtres en rupture avec leur classe ou des exilés. Histoire d'un quotidien rude, de l'occupation étrangère ou des espoirs déçus d'une révolution...

Pourquoi avons-nous quitté notre exil de Londres, Lucian et moi ? Après la guerre, quel imbécile sentiment m'a fait rentrer dans ce pays qui n'était plus le mien, et me mêler d'une révolution qui ne m'était rien ? Et chassé par la peur d'être pendu ou jeté en prison, pourquoi n'ai-je-pas fui en Angleterre, en Amérique où j'aurais trouvé une vallée tranquille, des terres, une ferme ?

De l'exil vient la nostalgie et la plume des différents protagonistes dépeint avec précision une nation à part, hébergeant quasiment deux peuples distincts, celui des plaines et l'autre plus rude et mystique des montagnes, capable de faire payer cher à l'occupant turc ou autrichien le passage de ses cols. Les différentes nouvelles se passent le relais l'une à l'autre, que ce soit par le biais de liens familiaux ou simplement le point de vue cruel du soldat annoncé dans le texte précédent. Du romantisme gothique de la fin XIXeme aux horreurs du XXeme siècle...

Elle remonta la rue, s'arrêta devant sa maison, que la brume n'avait pas fait disparaître ; elle poussa la porte que nous avions laissée ouverte, elle s'assit sur le lit, comme je l'avais fait moi-même une partie de la nuit ; et l'ayant contemplé en souriant, et s'étant souvenue de sa beauté, elle se coucha contre lui et éteignit doucement, du pouce et de l'index, la bougie ; dans la pénombre elle parla à mon frère - et mon frère retrouvant sa voix lui répondit ; et sous les yeux d'Azhané qui se doutait de ce manège, la mort vola à Akmat ses dernières forces.

- Je te délivre, je te délivre, lui mentit-elle.

Ainsi la prit-il comme troisième et dernière épouse.

Introduit par une superbe préface de Yves et Ada Rémy, Dernières nouvelles d'Oesthrénie ne se révèle pas facilement, puis la magie sombre de ces terres opèrent et on se laisse porté dans ses hauteurs désenchantées et convoitées... Si la géographiquement exacte de ces terres reste un mystère, les périodes traversées ne le sont pas avec ces protagonistes ballotés par des évènements sur lesquels ils n'ont peu de prises... Chroniques de chair et de sang dans un territoire habité par des ombres, pour reprendre les Rémy, ces dernières nouvelles marqueront durablement le voyageur qui fera l'effort de les arpenter.

 

Une lecture effectuée dans le cadre du Challenge SFFF au féminin.

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Commentaires
V
Il me fait bien envie celui-là, et ton article un peu plus dissert que la 4e couv (enfin son absence :P) renforce cette envie. Faut que je passe chez Scylla à l'occasion.
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