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Les lectures d'Efelle
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8 novembre 2015

Trois oboles pour Charon de Franck Ferric

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Le nautonnier repousse sa capuche et en sort une caboche fripée et totalement glabre, veinée des stries maladives, qui fait songer à une figue gâtée et ratatinée, passé à la chaux. Ses oreilles déchiquetées ont l'air d'avoir été rongées par des rats, et l'ombre sous ses yeux noirs a recueilli tout l'abattement de leur propriétaire pour y dessiner la topographie de deux fosses miniatures. Il tend sans enthousiasme une longue main pâle et calleuse, griffue d'ongles interminables. Dans sa paume flétrie ouverte, il y a des signes tracés sous la peau. Cinq courbes formant une spirale approximative, qui s'enroule autour d'une brûlure brunâtre ornée d'inscriptions minuscules. La voix du batelier transpire la routine pesante du gardien de péage :

"Je me dois de sacrifier aux rituels et aux coutumes. Alors même si je sais tes poches aussi percées que ta mémoire, je vais malgré tout formuler ma demande. Toi qui arrives au Froid Pays : trois oboles pour le Passeur ; ou bien une éternité de langueur ?"

Pour avoir dupé voir malmené les dieux Sisyphe a été condamné à une succession éternelle de vie absurde et généralement courte. Inlassablement, il émerge de la tombe pour surgir au beau milieu d'un champ de bataille où sauf exception, il ne fait pas long feu. Doté d'un don des langues qui lui joue plus de tours qu'il ne l'aide, il traverse une histoire qu'il comprend de moins en moins pour échouer au pieds de Charon toujours sarcastique et traître alors même que les dieux se sont effacés, puis resurgir sur terre et ainsi de suite, éternellement et absurdement.

Tout était compliqué. La guerre s'était logée dans le coeur de chacun et tout le monde avait une très bonne raison d'en vouloir à son voisin calviniste, luthérien, papiste, sorcier ou fils de Prussien. Ou d'avoir peur de perdre le peu qui lui restait au profit d'un plus fort ou d'un mieux armé. Alors, avec ma carcasse d'ogre et mes mains que je gardais crasseuses pour les rendre moins repoussantes, chaque discussion engagée, même pour un rien, tournait vite au vinaigre. Ensuite, je devais me défendre comme je savais le faire, ce qui veut dire des os cassés et du cuir tranché. Puis m'enfuir, souvent.

Au fil des siècles, l'art de la guerre se perfectionne permettant toujours plus de dévastation et de carnages... Et dans un décor où les abysses et les terre des vivants, chacune de plus en plus désolée et vide, en viennent à se ressembler, Sisyphe et Charon de continuer leur petit jeu inlassablement, l'athée cherchant à briser le cercle et la divinité mineur à l'y maintenir...

L'unique chose qui parvenait encore à me convaincre d'avancer était l'ennui. Le Maubec me l'avait appris : rester seul avec soi trop longtemps menait à la folie. Et j'étais d'un tempéramment trop solide, trop borné, trop sanglier pour laisser facilement la démence m'envahir. Toujours, la lassitude l'emportait sur l'inertie, et alors il fallait que je me lève.

Quelque peu desservi par un premier chapitre peu accrocheur, Trois oboles pour Charon prend son rythme de croisière ensuite, alternant des séquences guerrières flamboyantes ou pitoyables avec des rencontres avec Charon qui évolue au fil des siècles, l'athée semblant malmener un temps la divinité. Au final, le roman se révèle efficace, bien construit et mené pour un dénouement violemment ironique. Un bon moment.

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Commentaires
L
Un peu répétitif malgré tout, mais bien écrit, et bien mené, un bon souvenir.
V
Faudra que je tente l'aventure avec celui-là un jour...
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