Mordre le bouclier de Justine Niogret
Pour la première fois de sa vie, la guerrière avait compris le découragement et l'envie de l'abandon. Il lui avait fallu perdre ses doigts pour saisir que parfois l'esprit devient un gouffre si profond et goulu que rien ne sait plus l'éclairer et que tout y chute. Elle était née avec le fer, elle était née dans le feu et la force, y avait grandi, s'y était trouvée. Et maintenant elle était sans armes, avec des mains dont une cuisinière de bordel n'aurait pas voulu. Des pattes dans lesquelles elle-même n'aurait pas daigné cracher.
Suite de Chien du Heaume, l'on retrouve une héroïnes blessée et presque brisée... Le remplacement de son pouce par une griffe de fer et la proposition de Bréhyr, ne sorte pas totalement la guerrière de sa torpeur mais au moins la remette en mouvement. Bréhyr propre à Chien de retrouver sa mère s'il elle accepte ensuite de l'accompagner dans sa quête de vengeance.
La rencontre avec sa parente n'apaise pas Chien et exacerbe même sa rage... Ce qui la plonge par la suite dans des abîmes de dépression et d'introspection, chemin faisant.
Mon père. Je ne pardonne rien de ce qu'il a commis. Je sais qu'il a fait le mal, mais je sais surtout qu'il était fol, jusqu'aux tripes. Ma mère m'a confié que c'était une soif d'homme du Nord, cette folie ; que les gens de là-bas e changeaient en bestes et tuaient. Je suis comme lui. Un jour, je mordrai mon bouclier à mon tour. J'ai peur de finir à sa façon, loin de tout, ma hache plantée dans le ventre, à me tuer parce que je ne sais plus exister sans avoir envie de hurler jusqu'à m'en briser la gorge.
Lassitude, peur d'un avenir vain fait uniquement de fureur et de tripes répandues, les deux guerrières avancent sur le chemin de la croisade, attendant le retour de la cible de Bréhyr. Après quelques épisodes violents, elles rencontreront deux autres guerriers brisés, comme elles. Peu à peu chacun se révèlera et partagera son expèrience.
Je me suis demandé si ce que je faisais avait un sens. Si ma quête remplissait le vide de ma propre existence. Si la corde n'aurait pas, finalement, fait de plus beau collier autour de mon cou qu'autour de celui de l'homme. Je me suis dit que non. Puis j'ai réfléchi, longuement, j'ai rongé une herbe. Je n'ai trouvé nulle réponse. Les corbeaux nageaient, leur rage vissée dans le secret de leurs entrailles. Alors j'ai choisi d'avancer, simplement avancer.
Roman crépusculaire et étrange, l'ambiance moyen-ageuse est bien rendue mais cette succession de voyage, d'attente et d'échange ne m'a pas totalement convaincu. Chacun semble porter sa croix, suivre une voie vaine et finalement s'interroger sur le sens de sa vie... Mordre le bouclier a le mérite d'être court et de ne pas lasser mais manque, à mon sens, de variété pour provoquer pleinement l'adhésion. J'ai eu la sensation, d'une longue scène de déprime étirée jusqu'à sa résolution... Un peu décevant après Chien du Heaume.