Océanique de Greg Egan
Dernier recueil de nouvelles de Greg Egan chez Le Bélial, récompensé récemment du Prix du Cafard Cosmique. Au programme treize textes de bonne facture. Globalement les mathématiques n’envahissent pas les textes et ne laisse pas les béotiens, moi par exemple, sur la touche comme fut le cas avec l’Assassin Infini dans Axiomatique et La plongée de Planck dans Radieux.
Gardes-frontières ouvre le bal avec une partie de football quantique dans une société d’immortels, la thématique se déploie ensuite au niveau de la durabilité des relations humaines et du poids de la mémoire, surtout en ce qui concerne les souvenirs d’une époque révolue.
Les Entiers sombres prolongent l’intrigue dela nouvelle Radieux du précédent recueil, un mathématicien découvre de nouvelles façons d’altérer les mathématiques portant sur les grands nombres et de ce fait déclenche un conflit avec l’autre côté. Une nouvelle peut être un peu trop spectaculaire pour être totalement convaincante contrairement à Radieux.
Underwood entendit les gens siffler le 164 partout (au travail, dans les rues, dans les magasins) mais il savait que sa perception était faussée, qu’il le remarquerait davantage que tout autre mélodie qu’il pourrait distinguer. Magda le sifflotait, sans s’en rendre compte, et il finit par renoncer à faire un commentaire. Lui-même le chantonnait et s’endormait le soir en l’entendant ; écouter d’autres musiques chassait bien le 164, mais il revenait rapidement avec le silence – parfois seul, le plus souvent accompagné de ses détestables paroles. Ce qui le surprenait, c’est que les gens ne fracassent pas des bouteilles de Milworth & Hobbs en guise de protestation, qu’ils ne prennent pas d’assaut les bureaux de l’entreprise – ou ceux de son agence de publicité, que personne ne réclame la tête de quelqu’un. Mais non. Il n’y avait pas de tollé général. Ils avaient l’habitude qu’on déverse une musique détestée dans leur cerveau et, aussi révolutionnaire et efficace que fût la méthode de Halbright, ses compositions entraient dans le cadre d’une tradition bien établie et acceptée par tous.
Mortelles ritournelles présente les dernières avancées en matière de connaissance du cerveau. Un institut de recherche vendant sa découverte à une agence de publicité. Une fable acide et violemment ironique.
Quand le jet frais de l’anesthésique toucha sa peau, il éprouva un moment de panique absolue. Ils allaient découper son cerveau. Pas celui d’un Réserviste grognant et bavant, pas celui d’un inculte des bidonvilles, mais son propre cerveau, nourri d’une grande musique, de littérature et d’art, peuplé d’instants de joie et de lucidité suscités par les drogues psychotropes les meilleures, rempli d’ambitions qui pourraient avec le temps changer le cours de la civilisation.
Le Réserviste exploite le thème de l’immortalité via le clonage au travers des provocations d’un milliardaire. Une approche Hard SF d’un des thèmes d’Outrages et Rébellion de Catherine Dufour avec un texte encore une fois très ironique et cinglant.
Poussière, un chercheur créé des copies numériques de son esprit et les fait évoluer dans un univers virtuel. Ces copies existent-elles réellement ? Ont-elles conscience d’elle-même et que se passe-t-il dans l’ordinateur qui les contient est éteint ? Intéressant et très bien mené.
Les humains de chair inventaient des histoires dans lesquelles des extraterrestres venaient « conquérir » la Terre pour dérober leurs « précieuses » ressources matérielles, pour les anéantir par crainte de la « compétition »… comme si une espèce capable d’effectuer un tel voyage n’avait pas les moyens, l’intelligence ou l’imagination suffisante pour s’affranchir de tels impératifs biologiques dépassés. Conquérir la galaxie, c’est ce que feraient des bactéries disposant de vaisseaux spatiaux, par ignorance et parce qu’elles n’auraient pas d’autres alternatives.
Les Tapis de Wang présente une humanité qui s’est affranchie des limites de la chair et arpente la galaxie à la recherche d’autres formes de vie, sans verser dans l’interventionnisme. Mais aussi évolué que soit cette humanité, elle n’est pas à l’abri des idées préconçues… Un excellent moment.
Océanique approche l’acquisition de la foi, de l’aveuglement fanatique et de leur perte, cruelle mais présente aussi une société humaine ayant révolutionné sa sexualité. Un excellent texte assez amer.
Fidélité présente une société où les couples durent de moins en moins longtemps, après plusieurs expériences malheureuses un couple opte pour la préservation de leur sentiment via un implant. Encore une fois un texte amer qui sonne très juste.
Lama est un petit techno thriller tournant autour d’un implant permettant d’appréhender le langage d’une manière révolutionnaire et lucide. Bien construit et bien mené, que demander de plus ?
Dans Yeyuka, la biologie moléculaire a permis de vaincre toutes les maladies, enfin dans les nations industrielles occidentales. Un chirurgien décide d’aller se rendre utile en Afrique, où sévit une forme très virulente de cancer, pour se rendre utile. Il découvrira sur place que son engagement peut changer les choses s’il accepte de sacrifier un petit peu plus qu’un peu de temps. Un portrait sans concession des sociétés pharmaceutiques et une descente dans l’horreur et la frustration des missions humanitaires.
Singleton, un mathématicien, héros d’un instant, est traumatisé par la théorie quantique et les mondes multiples. Son acte héroïque improbable a changé positivement sa vie mais que ce serait il passé s’il ne l’avait pas fait, ce qui est le cas dans une infinité d’autres mondes. Obsédé par cette idée, il façonne sa vie et sa progéniture en conséquence. Un texte qui aurait pu être assez aride mais suffisamment bien emballé pour être prenant et qui déborde d’humanité.
Oracle reprend un personnage de Singleton qui se lance dans le sauvetage d’Alan Turing dans un monde parallèle. Ensemble, ils tenteront de changer durablement ce monde par petites touches.
Le Continent perdu sous couvert de science fiction, bien menée, présente la situation des réfugiés et de l’accueil qui leur est réservé par les sociétés occidentales. Un texte poignant, très réussi
Océanique se révèle donc un excellent cru, souvent amer et très convainquant, qui mérite amplement son prix. Personnellement il m’a convaincu de franchir le pas et d’aborder les romans de Greg Egan. A suivre !