Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski
Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté
des flots, ils n’ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue
comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre,
ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est
plus gras, c’est plus trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma
grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ?
Foutaises ! La mer, c’est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans
l’ivresse.
Avec Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski nous offre la
suite et la conclusion de la nouvelle Mauvaise donne incluse dans le recueil
Janua Vera. L’univers est le même et nous reprenons le fil quelque mois après
la conclusion de la nouvelle qui introduit Benvenuto l’assassin et le patricien
Leonide Ducatore. La guerre a eu lieu et la République a remportée une
victoire éclatante contre Ressine. Il n’en reste pas moins que la position de Ducatore est
instable et qu’il va avoir besoin de Benvenuto pour élaguer quelques branches
patriciennes qui lui font de l’ombre et négocier avec le Chah de Ressine, pour
conclure une paix durable. Paix que la République ne souhaite pas
particulièrement.
C’est reparti pour la valse des intrigues à une échelle
beaucoup plus grande que dans Mauvaise donne. Il y a beaucoup plus de joueurs autour
de la table et Benvenuto est devenu une pièce maîtresse, mais néanmoins
sacrifiable. Difficile de survivre dans un tel nid de vipères surtout
quand votre seigneur est un émule de Machiavel.
Compte tenu du double contrat que j’avais rempli, il aurait
été trop compromettant pour mon patron de s’afficher publiquement avec moi. D’un
autre côté, il fallait aussi m’honorer, ce qu’il avait fait en me laissant aux
soins de son fils. De plus, même un débile mental comme Mucio pouvait se
trouver utilisé par un manipulateur aussi fin que Leonide Ducatore. Le Podestat
savait que son fils était méprisé par l’aristocratie : publier l’amitié de
Mucio pour moi, c’était me traiter en familier, mais aussi me discréditer en
tant qu’homme de main ou de confiance. Une façon subtile de désarmer les
soupçons qu’on pourrait nourrir sur mon action, en tablant sur l’association
inconsciente qu’on établirait entre le crétin et don Benvenuto. Enfin, il y
avait un autre volet aux calculs du Podestat. J’étais le seul témoin ciudalien
de ses petits trafics avec l’ennemi. J’étais sur le fil, d’autant que j’étais
bien placé pour savoir que le Podestat n’avait aucun scrupule à se débarrasser
des gêneurs. En me donnant son fils pour compagnon de table, et même mieux, en
m’offrant son fils pour goûteur, le Podestat me faisait savoir que je n’avais
rien à craindre. Un gage personnel de bonne foi. Du moins, pour l’instant…
Plus qu’une simple suite de Mauvaise donne, ce roman reprend tout le panorama dépeint par petites touches dans Janua Vera et l’approfondit. Ciudalia apparaît plus que jamais comme un croisement entre Venise et Florence en pleine renaissance tandis que les royaumes alentours sont encore au Moyen Age. Royaumes dont on apprendra beaucoup tant leur géopolitique et leur histoire ont été influencées par la république.
La touche fantasy est toujours très légère, la magie dans cet univers est faite d’envoutement subtil et non de déferlements pyrotechnique, les races étrangères sont peu présentes, intégrées parmi les hommes et dépeintes avec habilité. On retrouve ainsi avec plaisir, Annoeth, l’elfe insouciant du Conte du Suzelle mais présenté sous un jour plus tragique.
Cet univers est de fait bien agréable et très envoutant, la démarche de l’auteur le rapprochant de Guy Gavriel Kay (Les lions d’Al Rassan ou Le dernier rayon du soleil) et de Laurent Kloetzer (Le royaume blessé).
Le récit est sans faille, les rebondissements nombreux, les
trahisons et coups de théâtre s’enchaînent, émaillées par quelques scènes d’actions
trépidantes. Benvenuto n’est pas omnipotent, échoue, met les pieds dans le plat
et connaît le doute régulièrement.
Avec Gagner la guerre, Jaworksi signe ici une fresque
magistrale avec un personnage principal très attachant et une superbe galerie
de personnages secondaires. On s’attache à tout ce petit monde qui s’agite dans
une lutte de pouvoir où les puissants entraînent les humbles dans leur chute ou
déchéance. Des intrigues enlevées, de l’action, des scènes marquantes et des
personnages bien campés dans un univers fascinant, Gagner la guerre est un roman
incontournable en fantasy !
Leonide Ducatore avait autant de motifs de m’en vouloir que le clan Mastiggia, et j’avais trimardé obstinément sur des routes mortelles pour me jeter dans la gueule du loup. Même Belisario ne me serait d’aucune protection dans ce cas de figure : s’il apprenait que j’avais culbuté sa sœur, le jeune preux serait sans doute le premier à vouloir me fendre la coquetière. Je me souvins des ombres qui avaient visité mes songes au cours de la nuit où j’avais failli périr de froid, et de ce que m’avait dit le fantôme de Welf : On n’attend plus que toi, Benvenuto. On te garde une place. Tu nous rejoindras bientôt, à Ciudalia. Mission accomplie, les gars. On n’allait plus tarder à pouvoir taper le carton.