Leçons du monde fluctuant de Jérôme Noirez

« Le cocher arrêta la voiture devant le porche de
l’église qui était jonché de saletés. De porche à porcherie il n’y a qu’un
petit pas syllabique, que l’esprit de Charles s’empressa de franchir. Ses
jambes en revanche étaient d’une humeur plus fainéante. »
Charles Dodgson, révérend, mathématicien, enseignant et
photographe bègue a choqué la société victorienne par son obsession consistant
à photographier des petites filles.
Hanté par le souvenir d’Alice il est envoyé aux confins de l’empire britannique
sur l’île de Novascholastica.
Novascholastica, terre à l’ambiance africaine où les colons
morts échappent à l’emprise des amphigouristes britanniques et vont se perdre
dans le monde des morts des autochtones.
Jab Renwick, noir précepteur, sorte d’inquisiteur victorien,
est envoyé sur place en même temps que Dodgson afin de mettre un terme à cette
situation.
Kematia, jeune empewo morte de Novascholastica, explore le
Lankolong, le monde des morts de son peuple et y découvre de biens étranges
phénomènes.
C’était une carapace de tortue marine, vide de tout contenu.
Et pour cause : l’animal proprement dit se tenait à
quelques pas de là, assis sur une borne, les pattes croisées, dans une posture
ridiculement anthropomorphique. »
Jérôme Noirez s’empare de Lewis Carroll, Charles Dodgson de
son vrai nom, pour l’embarquer dans une
aventure qui le transformera complètement. Mêlant habilement, un empire
britannique victorien fantasmé qui étend son autorité par delà la mort et un conte africain dans un récit où tout finit
par virer à l’absurde. Un récit parfaitement maîtrisé, très agréable et
finalement moins manichéen que le début ne le laissait présager.
Le Charles Dodgson de Noirez est saisissant et pathétique. Pauvre
individu rêveur broyé par la
société. L’histoire de Kematia est poignante.
Un superbe roman où il est beaucoup question d’obscurantisme mais pas forcément là où on le supposerait.
A lire ne serait ce que pour un certain lapin blanc
opiomane !
« Il n’y avait que dans le refuge de ses rêves qu’il ne connaissait pas la peur. »