Les Chronolithes de Robert Charles Wilson
« L’ironie veut que j’ai détesté le monument presque
avant tout le monde. Très peu de temps après, la silhouette de cette pierre
fraîche et bleue allait devenir un symbole reconnu et détesté (ou, par esprit
de contradiction, adoré) par la très grande majorité de la race humaine. Mais à
ce moment-là, il n’y avait que moi.
J’imagine qu’on peut en tirer comme morale que l’histoire ne
braque pas toujours ses projecteurs sur les gentils.
Et bien sûr, que les coïncidences n’existent pas. »
2021, Scott Warden et sa petite famille vivote sommairement
en Thaïlande quand se produit un évènement qui va changer sa vie et celle de
l’humanité : au cours d’une explosion nocturne dans la cambrousse, un
étrange monolithe est apparu. Dessus une inscription commémore la victoire d’un
certain Kuin en 2041 soit 20 ans plus tard.
Rapidement d’autres monuments plus sophistiqués apparaîtront
à leur tour en Asie, tous à la gloire militaire de Kuin, parfois en plein
milieu de villes qui s’en trouveront ravagées. Ils seront rapidement baptisés
« chronolithes » par la presse.
Les pays ainsi frappés sont rapidement déstabilisés avant de
sombrer totalement ou partiellement dans le chaos. Au fil des années, les
monuments se multiplient de l’Asie vers le Moyen-Orient puis l’Afrique. L’économie
s’effondre et la récession frappe violement les Etats-Unis conjointement à des
catastrophes écologiques importantes.
Contrairement à Tyler Dupree dans « Spin », Scott Warden n’est pas introverti et les évènement sont plus sinistres même si moins terrifiant à une échelle cosmique : la menace est définitivement humaine.
Qui est Kuin ? Pourquoi clamer ses victoires par
avance ? Comment le fait il ? Des questions que l’on se
posera autour de Scott même si ses propres préoccupations resteront plutôt
terre à terre.
« Nous comprenons les Chronolithes de la manière dont un théologien du moyen-âge comprendrait une automobile. C’est lourd, les garnitures chauffent si on les laisse au soleil, il y a des pièces pointues et d’autres non. Certains de ces détails peuvent avoir de l’importance, la plupart n’en ont sans doute pas, mais on ne peut les éliminer sans s’appuyer sur une théorie globale. Ce qui est précisément ce dont nous manquons. »
Encore une fois
Robert Charles Wilson mêle l’humain aux grands évènements avec bonheur, les
épreuves traversées par Warden sont tout aussi intéressantes que la
compréhension des raisons du phénomène.
A travers plusieurs décennies et trois cent vingt pages,
l’on suivra Warden et la détérioration rapide des sociétés. Les états
occidentaux succombant au militarisme et à la paranoïa, les nations en
développement s’écroulant, tandis que
les partisans irrationnels de Kuin, le conquérant du futur, se multiplient un
peu partout en dépit du bon sens.
« J’ai eu l’impression d’être confronté à la folie millénariste à laquelle nous avions échappé au tournant du siècle, ces centaines de hadjis tirant profit de la carte blanche que leur procurait sur le plan moral la garantie d’une fin du monde. Que Kuin soit rédempteur ou destructeur, le lendemain comme le surlendemain lui appartenaient, voire tous les lendemains, du moins dans l’esprit des hadjis. Et du moins, en l’occurrence, ils ne seraient pas déçus : le Chronolithe arriverait comme prévu ; Kuin imprimerait sa marque sur le sol nord-américain. Un grand nombre d’entre eux laisserait probablement la vie dans le choc thermique et les secousses, mais s’ils le savaient et selon toute probabilité ils le savaient, ils ne s’en souciaient pas. C’était une loterie, après tout. Gros lots et risques de tombeau. Kuin récompenserait les croyants… du moins les croyants qui survivraient. »
Faut il étudier le phénomène pour tenter de l’interrompre ? Est-ce possible ? Cela ne revient il pas à trouver les méthodes qui le rendront possible et prendre le risque de les livrer ainsi à Kuin ? Telles sont les questions qui hanteront le récit tandis que Scott tentera de préserver les siens contre vents et marées.
Un exercice très original sur le paradoxe temporel. Un excellent roman qu'il est très difficile de refermer avant la fin.