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Les lectures d'Efelle
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22 septembre 2013

Même pas mort de Jean-Philippe Jaworski

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Dans trois lunes, dans trois hivers, je ne serai plus qu'os blanchis, éparpillés au milieu des herbes folles. Mais quelle importance ? Mon nom, mes exploits, mes crimes, jusqu'à ma mort seront dans tous les coeurs. Je serai présent, plus présent que jamais : multiple, contradictoire, simplifié, déformé. Purifié. Je serai, toujours ; même si mon visage s'efface, même si mes actes se confondent avec les exploits d'autres héros, même si mon nom s'érode et mue selon le dessein capricieux des langues. Je serai, principe souverain et héroïque ; jusqu'à ce jour, peut-être, où mon masque guerrier se confondra avec la face hiératique des idoles.

Et c'est pourquoi, mon ami, tu raconteras ma vie.

Au crépuscule de sa vie, le celte Bellovèse narre son existence à un marchand grec, à charge pour de ce dernier de transmettre son histoire. Une vie visiblement tumultueuse que le guerrier commencera à narrer par un voyage mystique... Une expérience douloureuse, destinée à mal se terminer au vu de l'enfance de Bellovèse mais ce dernier taira à dessein cette dernière dans un premier temps. Au cours de celui ci, il narrera un épisode précédent de son existence lors d'un entretien avec des oracles... Commence alors une narration à rebours, les récits étant imbriqués les uns dans les autres à la façon de poupées russes. Un choix frustrant au premier abord, du fait des nombreuses allusions initiales au passé, mais porteur d'un souffle épique indéniable, accrochant efficacement le lecteur.

Le lendemain, nous sommes entrés dans une région contestée. Une contrée peuplée de corbeaux et de maraudes armées, sur fond de paysages gagnés par un relief d'inquiétude. Qu'est-ce que la guerre ? Vos rhapsodes et nos bardes commettent la même erreur : ils ne chantent que les armes, les corps vigoureux, le tourbillon des mêlées, les larmes, les bûchers funéraires. Ils ne retiennent que l'anecdote. Entrer en guerre, c'est comme passer de l'autre côté. C'est gagner un monde voisin, familier et pourtant différent. C'est une pomme surie au milieu de fruits frais. C'est un univers bruissant de rumeurs, d'agitation et d'erreurs ; c'est l'émergence de fraternités factices et de haines irraisonnées. C'est un face à face avec des fantômes inconnus et fuyants. Des greniers abandonnés, des champs livrés aux herbes folles, la peur à chaque détour du chemin, parfois la mort sous la lance d'un ami, parfois la compassion dans le regard de l'ennemi. La guerre, c'est le désordre. C'est le mouvement.

La touche magistrale de Jaworski intervient dans la seconde moitié du roman. On pense avoir discerné la manière dont sera conté cette histoire au moment où Bellovèse brouille joyeusement les pistes, profitant d'une fièvre d'enfance et d'une blessure qui aurait du être mortelle, pour narrer un délire qui fait sens, mêlant inextricablement le passé et le présent du récit. Le tout prenant une dimension quasi mythologique...

Le vagabond a agité ses grands bras d'un air inspiré.

"Au monde, rien ne va de droit fil. Avez-vous déjà suivi un chemin qui vous mène tout droit à destination ? Avez-vous déjà descendu une rivière qui va se jeter tout droit dans la mer ? Avez-vous déjà vu la lune ou le soleil traverser tout droit le firmament ? Même les étoiles dansent de lentes farandoles. L'existence n'est qu'un immense canevas de lacets, de virages, d'embranchements et de méandres. Tout est capricieux et infléchi, et la vie entière est un entrelacs d'arabesques. Seuls les lances et les javelots sont droits..."

Il a frissonné.

Tant par la forme, le fond de son récit et la langue employée, Même pas mort emporte l'adhésion. L'immersion dans cette Gaule celtique sombrement enchantée est des plus plaisante. Bellovèse et nombre de personnages secondaires sont des plus intéressants, ne serait ce que pour leur part d'ombre et l'importance de leurs points de vue dans cette histoire. Le salaud n'étant pas forcément là où on le pense, et finalement ce dernier ne l'est pas tant que ça. Bref, à des éons de toute force de manichéisme malgré les apparences initiales. Jean Philippe Jaworski démontre ici sa maîtrise du genre, voire même son règne pour paraphraser l'ami Nébal. Bref, une lecture surprenante des plus recommandables, un excellent moment.

Il ne reste plus qu'à attendre la suite...

 

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Commentaires
R
Je deviens à moitié hystérique rien qu'à l'idée de le posséder celui là... Ce n'est pas encore le cas, mais ça ne devrait plus trop tarder ! :D
L
Hé oui, encore des louanges ! Je vais tenter de le lire rapidement, mais planning chargé...
E
J'aime énormément la façon d'écrire de cet auteur, après j'hésitais parce qu'il faudra encore attendre pour les suites .. mais les billets que je lis les uns après les autres me font envie, le tien ne fait pas exception.
G
Je ne lis pas ta chronique car il faut que je lise très rapidement Même pas mort.
A
J'ai toujours pas commencé ma découverte de cet auteur, mais là, tu me donne très envie.
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