Au menu de ce nouveau recueil de Jack Vance au Bélial, deux romans et deux nouvelles.
L'occasion de relire Les Maisons d'Iszm dans une traduction révisée. Un botaniste décide de visiter Iszm, la planète ayant le monopole de la production d'arbre habitat. Un monopole jalousement gardé et férocement contesté par toute une horde d'aventuriers sans scrupule prêt à tout pour dérober des plants reproductibles. Le narrateur Aile Farr sera donc suspecté des pires turpitudes dès son arrivée et deviendra à son corps défendant un pion dans cette lutte industrielle sans pitié. Un récit mené tambour battant sans temps mort, au contexte des plus séduisants mais un peu court pour le coup, la fin étant toujours très abrupte et finalement peu satisfaisante. La révision de la traduction ne change pas mon avis sur ce texte, un bon moment mais un Vance mineur.
La nouvelle, Alice et la cité, qui fait suite est visiblement une pastiche, tournant en dérision la prétendue supériorité des citadins au détriment des provinciaux. Une héroïne cassante poursuivie par deux prétendants aussi grotesque l'un que l'autre, sympathique sans plus.
"Sur chaque planète, vous n'êtes resté que le temps de gagner de quoi vous payer un billet pour la suivante. Il y a à un schéma et, là où il y a schéma, il y a plan. Là où il y a plan, il y a des intentions, et là où il y a intentions, il y a buts à atteindre. Et, quand ces buts sont atteints, il y a un perdant. Mais je vois que vous êtes mal à l'aise."
Fils de l'arbre est une excellente surprise, on part avec un protagoniste des plus romantiques qui court de planètes en planètes pour réparer un tort amoureux et tombe sur une situation des plus surprenantes à l'autre boût de l'aire humaine. Notamment sur Kyril, le monde des Druides, avec son arbre titanesque et sa thécratie démente. Sur place, il se trouvera facilement un emploi du fait de l'absence de connaissances techniques des autochtones mais deviendra encore plus facilement un pion le redoutable échiquier géopolitique local. Comme souvent avec Jack Vance, un roman sans temps mort, plein de rebondissements et de surprise, la principale étant ici au sein du casting qui compte pas moins de trois personnages roués, ingénieux ou retord et finalement très sympathique.
"Mais... je ne sais jamais trop ce que vous me réservez. De même, l'oie que l'on gave pour son foie gras ne peut pas comprendre la générosité de son maître. Rien n'est jamais ce qu'il paraît." Il eut un petit rire. "Je suppose que vous n'allez pas me dire à quel abattoir vous comptez m'envoyer ?"
Hableyat afficha une confusion polie. "En fait, je ne suis pas si sournois. Je ne cherche aucun faux-fuyant, je ne me voile que de franchise. Je vous témoigne une considération authentique... même si j'admets que cette considération ne peut m'empêcher de vous sacrifier à un dessein plus élevé. Il n'y a là aucune contradiction. Je sépare de mon travail mes goûts et mes aversions. Voilà, vous savez tout de moi."
- Et comment savoir quand vous travaillez ou non ?"
Bref un excellent moment qui justifie pleinement l'achat de ce recueil.
Le recueil se termine sur Le Dernier Château, une nouvelle des plus réussies et sans doute le moment le plus fort de ce livre. Sur la Terre ne subsiste plus qu'une élite humaine revenue de par delà les étoiles avec sa clique d'esclaves extra-terrestres et quelques nomades... Les premiers vivent comme des esthètes décadents enfermés dans leurs splendides villes fortifiées. Les seconds survivent tant bien mal avec des technologies rudimentaires.
"Quant à moi, je ne saurais abandonner mon statut de gentilhomme de Hagedorn. Il s'agit pour moi d'une conviction aussi naturelle que de respirer ; au moindre compromis, je deviendrais le travesti d'un gentilhomme, la grotesque caricature de moi-même. Nous sommes à Chateau Hagedorn et nous représentons le sommet de la civilisation humaine. Tout compromis mènera à une dégradation, tout diminution volontaire de notre train de vie, au déshonneur. J'ai entendu parler de "situation critique". Quelle déplorable vision des choses ! Qualifier de "situation critique" les petits coups de dents de ces rats de Meks me paraît indigne d'un gentilhomme de Hagedorn."
Quand la race d'esclaves en charge des éléments technologiques déserte puis vient prendre les châteaux les uns après les autres, c'est la stupeur... La plupart des gentilhommes vont se borner au déni tandis que sous l'impulsion de héros "vanciens", les plus lucides prendront les mesures qui s'imposent aussi radicales et inconfortables soit elles... Un texte puissant sur la chûte inéluctable d'une civilisation, très prenant. Sans doute une des meilleures nouvelles de Jack Vance.
Au final, ce recueil mérite le détour, si les deux premiers textes sont sympathiques, les deux derniers justifient l'existence de ce recueil vu le talent que Vance y déploie. Un très bon moment.
Une lecture dans le cadre du challenge "Je lis des nouvelles et des novellas".