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Les lectures d'Efelle
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7 décembre 2012

L'étoile du matin de Wu Ming 4

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Nancy ne lui demandait jamais rien sur la guerre. Depuis la mort de son frère elle avait fermé son esprit et ne voulait plus en entendre parler. Peut-être qu'une bonne épouse l'aurait plaint, mais pas elle : Nancy n'était pas une bonne épouse, et elle tenait à le préciser. C'était une femme. Jenny ne grandirait pas dans des histoires terrifiantes de guerre, et la créature qu'elle portait en elle non plus. Ils avaient besoin de calme et d'oubli, de couleurs et de sérénité. Les cauchemars restaient à la porte du petit cottage perché en haut de la colline.

Oxford, 1919. Le poète Robert Graves a réintégré sa famille après avoir connu la guerre des tranchées. Marqués, il se reconstruit doucement quand T. E. Lawrence débarque en ville pour terminer son propre récit. Déjà légendaire, grâce au journaliste américain Lowell Thomas, T. E. fascine. Une amitié se noue entre eux, malgré la désapprobation de Nancy Nicholson l'épouse de Robert.

Ronald baissa les yeux sur son cahier et écouta la pluie pour chasser les images de l'attaque d'Ovillers. Elles l'assaillent parfois à l'improviste, mais heureusement moins souvent que durant les premiers mois du retour. Ces jours-là, il n'avait rien pu faire d'autre qu'écrire et écrire encore. Il n'avait pas trouvé de meilleur moyen pour dompter les monstres que de les transformer en créatures de fables, à placer de l'autre côté du miroir, au royaume des fées. Le pouvoir mystérieux de la langue le lui permettait, la force évocatrice ancestrale. Le mystère des mots.

Bien évidemment ils ne sont pas les seuls à avoir été marqués par la guerre, notamment un jeune enseignant John Ronald Reuel Tolkien, qui trouve une catharsis dans un monde et une langue imaginaire. Notamment à travers un premier texte, La chute de Gondolin. Côté étudiant, on suivra un certain Clive Staples Lewis, dit Jack, hanté par la parole donné à un agonisant... Amer, méfiant, pugnace il mènera sa propre enquête sur Lawrence.

Vaughan acquiesça avec une extrême lenteur. Le niveau de vin dans la bouteille continuait à descendre.

- Je comprends. Très noble de ta part, digne d'un chevalier servant. Je te l'ai dit la première fois que nous nous sommes rencontrés : tu es quelqu'un qui change brusquement. Très difficile à cerner et sacrément embrouillé.

- C'était plus facile avec Lawrence, j'imagine, dit Jack.

T. E. Lawrence n'est bien entendu pas un personnage plus équilibré que les combattants des tranchées. L'évolution de la situation au Moyen Orient où la France et le Royaume Uni avancent leurs pions contre les volontés arabes d'autonomie, les sévices qu'il a subit de la part des turcs, le massacre auquel il aurait participer, l'aura médiatique qui a été construite sur son histoire... Une foule de raisons pour ne pas se sentir à l'aise.

En fonçant dans les rues désertes, il repensa à la décision qu'il avait prise. Il fallait partir, s'isoler, finir d'écrire à tout prix. L'admiration des autres était un très mauvais collègue de travail.

C'est ainsi qu'apparait en filigrane un portrait nuancé de T. E. Lawrence, porté par ses réminiscences et trois autres points de vue : l'ami incarné par Robert Graves, l'inconnu rencontré fortuitement qu'est Tolkien et l'antagoniste pour C. S. Lewis. Tous fascinés par la figure du héros.

Lors de leur première recontre, Lawrence lui avait donné une impression de faiblesse et de fragilité. Une créature étrangère, petite, vaguement difforme. Et la deuxième fois, quand il l'avait trouvé le visage collé au présentoir des anneaux, avide de retourner sous les feux de la rampe, d'être encore un demi-dieu, et en même temps écrasé par la culpabilité de n'avoir pas été à la hauteur de l'Histoire, et de ne pas réussir à l'écrire de manière vraisemblable. Comme si le monde n'était qu'une scène sur laquelle il fallait réciter son texte.

Il ne pouvait qu'éprouver une compassion profonde pour cet homme solitaire et pathétique, Lawrence Turambar, maître de la féérie et destructeur de lui-même.

Quatre destins profondément marqués par la guerre qui à travers leurs rencontres ou confrontations trouveront le moyen de ré enchanter leur vision du monde. Quatre cheminements passionnants à suivre, même si Lawrence remporte la palme du charisme et Tolkien celle du lyrisme. Rencontres imaginaires ou rêvées de personnages réels, L'étoile du matin est un texte subtil, prenant, jouant magnifiquement avec ses protagonistes, sans excès. Une magnifique réussite.

 

Il m'a vraiment donné envie de le lire : Nébal.

 L'avis de la librairie Charybde.

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Commentaires
G
Ouais c'est clair que la chronique de Nébal est bien alléchante aussi.
G
Je le mets en LAL
N
Content que ça t'ait plu !
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