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Les lectures d'Efelle
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21 octobre 2012

Mother London de Michael Moorcock

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Ils sont trois londoniens, Josef Kiss, Mary Gasalee et David Mummery, marqués par le Blitz et affligés d'un don télépathiques plus que gênant. Trois générations qui vont traverser quelques décennies de Londres, des années 40 aux années 80. Trois visions de la ville, de son histoire, à travers leur point de vue et celui de ceux qui croiseront leurs chemins...

Plus ils planaient, plus l'interminable débat dérivait vers des abstractions. C'était une situation familière ne réclamant aucune intervention de sa part et Mummery se sentait à son aise. Il estimait avoir vécu un âge d'or qui avait duré jusqu'à l'enregistrement de Let It Be. Plus vieux que la plupart des autres, il avait connu l'austérité des années 50 et savait apprécier cette vie qui se révélait bien moins pénible qu'il n'aurait pu s'y attendre.

Trois destins qui se croisent dans une clinique, deux d'entre eux soignés pour les voix qu'ils entendent. La dernière sortant d'un coma de quinze ans, consécutif à l'incendie de sa maison durant le Blitz, sans une ride. Connivences, amitiés, amour leur relations durera au-delà de cette clinique où ils sont contraints de se rendre régulièrement.

Le cimetière de Kensal Rise réapparut, sur l'autre berge du canal, telle une forêt magique. Il était sur sa gauche dominé par les gazomètres, et dans l'ombre de cette immense forteresse de métal abandonnée une haute haie d'ifs lui dissimulait ce qu'il supposait être un bâtiment municipal, peut-être un transformateur. Il franchit une passerelle en fonte baroque qui enjambait un étroit bassin où était amarrée une vieille barque ayant reçu de nombreuses couches de vernis. Arrivé de l'autre côté, il s'arrêta pour saluer par-delà les flots un amour qui ne s'était jamais concrétisé, le corps sans vie de l'homme dans lequel il avait placé tous ses rêves.

Jusqu'à ce nous ayons construit Jérusalem dans les terres verdoyantes et agréables d'Angleterre !

La narration est éclatée, éparpillée et présentée selon des thématiques plutôt que chronologiquement. On passe d'un des trois narrateurs à l'autre aussi bien qu'à une connaissance ou quelqu'un d'à peine entrevue selon les situations pour des séquences parfois assez touchantes. Les pérégrinations des trois télépathes sont entrecoupées de bruit blanc, somme des pensées qui les entourent et les agressent. Aussi déstabilisant pour le protagoniste que pour le lecteur.

Londres est la dernière capitale des grandes civilisations et les nouveaux empires seront fondés sur des idéaux et des croisades, de pieuses abstractions. L'âge d'or des puissances urbaines a atteint son apogée. Londres ne pourrait poursuivre son expansion et entre par conséquent dans une phase de régression qui s'éternisera jusqu'au jour où, comme Athènes et Rome, son souvenir sera devenu plus grand et durable que ses pierres.

Mais la véritable vedette de cette chronique est bien la ville elle même, vu par ses trois télépathes qui lui sont profondément attachées. De Josef qui multiplie les petits pieds à terre à David qui vit en écrivant sur ses particularités et légendes en passant par Mary qui l'a fantasmée pendant son coma. Une ville en perpétuelle changement, marqué par ses incendies et le Blitz qui sera finalement présenté dans le dernier tiers du roman.

La ville hurlait. Il n'aurait jamais cru qu'un raid aérien pouvait être aussi ravageur. Que cette mission humanitaire l'eût éloigné du brasier le soulageait presque. Il avait perdu tout désir de plonger au coeur du danger, non seulement parce qu'il doutait qu'il y eût un seul survivant, mais surtout à cause des entités qui se matérialisaient au-dessus de l'agglomération embrasée : cavaliers frénétiques galopant sur des chevaux couverts d'écume au sommet de falaises fuligineuses ; géants nus qui se contorsionnaient dans les affres de l'agonie au fond de chaque vallée, les yeux embrasés par la souffrance et la terreur ; créatures difformes qui émergeaient de sombres cavernes pendant que toutes les bêtes de l'apocalypse le lorgnaient, baragouinaient et bavaient en quittant le chaos qui les engendrait et que des démons noirs se dressaient en brandissant leurs glaives incandescents de mercure et de cuivre en fusion pour jouir du spectacle offert par la cité mourante. Il gémit. Il n'avait jamais tant douté de ce que lui révélaient ses sens car ce qu'il voyait était inconcevable. Il tourna le dos au brasier pour repartir sur le chemin de halage. Assailli par un déferlement de cris faussés par l'angoisse, il eut le souffle coupé, hoqueta, mais conserva son allure et son cap.

Au lyrisme ou à la révolte de Josef, viennent en contrepoint d'autres témoignages plus prosaïques ou enchantés, notamment concernant le Captain Black dégageant David ou la sortie des flammes de Mary.

Des shrapnels volaient de toute parts, des quartiers complets ondulaient comme une mer démontée, asphalte et pavés se soulevaient pour libérer les hordes de l'Enfer ; des murs s'effondraient, la chaleur nous contraignait à nous coller au sol, le souffle arrachait la chair des os, les articulations de leurs cavités. Quand tout se calmait, nous repartions arroser les flammes et dès que les incendies étaient maîtrisés nous nous remettions à creuser. Les Allemands m'inspiraient de la haine, cependant moins que nos gouvernants. Mon cas n'était pas unique, mais nous n'étions pas autorisés à exposer nos opinions. Ils nous dépeignaient comme de vaillants cockneys pleins de ressources qui s'inclinaient bien bas devant Sa Majesté sans préciser qu'aucun aristocrate n'autait osé mettre les pieds dans l'East End de crainte d'être réduit en charpie, que le sel de la Terre aurait voulu avoir la peau de Churchill. Ils étaient tous identiques à nos yeux. Ils étaient pratiquement épargnés par les bombardements et leur sollicitude relevait de la supercherie.

Au fil des scénettes, la ville, ses mutations, ses légendes (l'en dessous de la ville notamment) et les trois principaux personnages prennent corps. Chacun ayant sa propre voix et sa vision de la ville, avec eux son abordé toutes les franges de la population des criminels aux politiciens.

Très difficile d'accès, dénué d'intrigues, déroutant et fascinant Mother London est une réussite dans son genre, un livre à lire doucement mais inexorablement. Les personnages tant secondaires, tels les soeurs Scaramanga, que principaux sont attachants et c'est à regret qu'on les quitte finalement. Mother London est loin d'être une lecture évidente, contre-pied des autres oeuvres de Michael Moorcock mais est néanmoins un très bon livre, plein de moments marquants.

Nos mythes et nos légendes nous rappellent ce que nous valons et qui nous sommes. Sans eux nous sombrerions sans doute dans la folie.

Il m'a donné envie de le lire : Nébal.

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Commentaires
L
"La ville hurlait." Très belle phrase !
E
@Nébal : Tu as souvent raison, je te déjà l'ai dit de vive voix.
L
Pas facile donc, mais ça m'intrigue beaucoup tout ça ! Merci !
N
Hein que c'est génial ! hein ? hein ?
G
Très intéressant tout ça !
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