Tout esclave qu'il fût, on le laissait parler, à cause de la main et du ton qu'il empruntait pour s'adresser au visiteur, comme s'il était en état de transe, comme si, et c'était bien le cas, il était inspiré par Celui qui embrasse toute chose en Sa science.
"Un jour, ce que vous croyez être une souillure sera plus convoitée que les perles, l'encens et les épices et j'ai vu quel avenir peuvent espérer vos descendants si mon message leur parvient et s'ils suivent mon conseil. Alors s'accompliront mes visions. Sur vos terres ils bâtiront des villes puissantes, plus riches que les palais de légende de Bagdad ou de Tabriz, et vos descendants vivront dans le luxe."
Un émir d'Arabie craint une attaque d'un voisin qu'il apaise pourtant avec des présents. Lui vient alors l'idée de scruter l'avenir grâce aux visions d'un simple d'esprit ou d'un infirme de naissance. Les prophéties sont lacunaires, qu'importe réunissons plus de ces créatures et motivons les par le luxe et le fer. Une vaste chorale est finalement constituée mais le résultat est inaudible. Un pêcheur de perles de Bahreïn, affublé d'un doigt supplémentaire à la main, est amené. On lui fait profiter des bienfaits de l'émir ainsi que de sa salle de torture... L'homme en ressort transfiguré, des visions du futur lui sont révélés. Las, la situation de l'Arabie dans sept siècles n'intéresse pas l'émir, c'est par le rire que Kemal bin Taïmour sauvera sa vie... Ses pérégrinations l'emmèneront sur les rives de la Méditerranée où les visions continueront de l'assaillir, graduellement plus proche dans le temps. Ses révélations captiveront ses auditeurs, petit à petit Kemal tentera de prévenir les situations dont il aura la révélation. Malheureusement, les solutions ne sont pas forcément simples, à Beyrouth il ne saura la conduite à tenir, à Malte il ne fera que renforcer la détermination des autochtones face aux turcs à venir... Bien qu'inspiré par Allah, ses pas l'amèneront en terre chrétienne avant de le ramener au Maghreb tandis que sa capacité à discerner l'avenir se réduit de plus en plus rapidement.
Au mois de mars 1358, les agents de Fares trouvèrent enfin la bouche par laquelle la rumeur de l'exécution de ses enfants était née et Kemal fut jeté un matin hors de son lit et conduit à la casbah. Sa faculté de voir une scène du futur était bien réduite à cinq jours d'anticipation.
Mis au fer, il subit le supplice de l'avulsion de la barbe et confia à ses bourreaux, au rythme de chaque touffe de poils que les tenailles lui arrachaient, sa vie prodigieuse.
On confirma à Fares qu'il avait emprisonné le célèbre voyant de l'île de Bahreï, l'homme à la main de Dieu, qui connaissait le destin des royaumes, avait porte ouverte dans toutes les cours, chez les Croyants comme chez les Infidèles, et devait à ses visions trop lointaines de n'avoir jamais pu jusqu'alors être contredit par les faits.
Au terme de l'affrontement entre Kemal et Fares commencera le second récit, où le cruel vizir tentera de déjouer une sinistre prophétie de Kemal concernant ses enfants. Du conte on passera alors à la fable, le récit factuel alternant avec des intermèdes d'ambiance.
Force est au Destin de l'emporter sur son adversaire en imagination, force lui est de faire intervenir l'au-delà, les nécromants et autres ficelles qui agitent les morts. Farïdun ben Bosra sera une des pièces maîtresses s'il trouve le moyen de déjouer l'interdiction d'entrer dans le chott.
A l'extravagance de Fares, son adversaire répond par la démence. A sa cruauté, par le macabre. Fares égorge les témoins pour mieux dissimuler sa retraite et voilà qu'une des victimes rompt le silence de la mort...
Et maintenant, le Purulent occupe la scène...
Deux récits l'un après l'autre, se complétant, l'un onirique l'autre cruel. L'ensemenceur, narre donc le voyage de Kemal tant dans les contrées méditerranéenes que dans le temps. Cheminement érudit finalement plus enchanteur que son dénouement désenchanté. Final qui lance Les huits enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun, courte nouvelle ironique qui vire dans une ambiance fantastique assez sombre.
Dépaysant, le Prophète et le Vizir est un voyage agréable, référencé et inspiré, le récit est bien manié on se laisse mener sans se poser de question des sables d'Arabie à ceux de Tunisie en passant par l'Espagne. Un bon moment.