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Les lectures d'Efelle
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15 mai 2012

Interview : Catherine Dufour et l'Histoire de France.

Après plusieurs romans de SF et de Fantasy, Catherine Dufour a changée de registre pour prendre l'histoire de France à bras le corps. Elle a acceptée de revenir ici plus en détail sur sa démarche.

- Ton essai semble dans un premier temps s'attacher à dynamiter les idées reçues, les poncifs ou les contre sens dans l'Histoire de France. Comment t'es venue l'idée de clarifier ou démystifier ces divers points ?

Un jour mon fils, qui avait alors 10 ans, m'a demandé :

- Maman ? Napoléon, c'est avant ou après Charlemagne ?

Je me suis hérissée comme une poule devant un couteau, j’ai fait « Cot ? » et j'ai pondu un livre. Nous l’avons lu ensemble, le soir à la chandelle, d’un bout à l’autre. Puis je l’ai refermé et mon fils m'a demandé :

- Donc François de Nazareth, c'est celui de la poule au pot ?

C’est là que j’ai compris que, toute dévouée à sa culture historique, j’avais un peu négligé sa culture religieuse. Nous sommes donc passés à la bible.

Tout à fait immodestement, je crois avoir rendu un vrai service à pas mal d’écoliers en sortant ce livre. Prends le traité de Picquigny. J’ai pâli au collège sur le traité de Picquigny, j’ai vu mon fils blêmir sur le traité de Picquigny. Sais-tu ce qu’est le traité de Picquigny ?

« Le traité de Picquigny a été signé en 1475 entre le roi de France Louis XI et le roi d’Angleterre… »

Là, tous les enfants du monde sont déjà en train de dormir. Alors que si on leur explique :

« 1475. Louis XI va à la rencontre du roi d’Angleterre. Celui-ci vient de débarquer à Calais avec vingt mille hommes et la ferme intention de se faire couronner roi de France. Louis XI n’a pas autant de soldats mais, par contre, il a trois cents chariots de vin. Gracieusement, il les offre aux Anglais. Quelques heures plus tard, seul au milieu de son armée ivre morte, le roi d'Angleterre signe avec Louis XI une paix définitive. La guerre de cent ans en aura duré cent cinquante. »

Eh bien, ça se retient mieux. En fait, le mot-clef de mon livre est « repères ». Mon but est de donner des « repères ». 800 Charlemagne, 1800 Napoléon. Entre deux ? L’an 1000, le Moyen-âge dans toute sa splendeur. 1350 ? La Grande Peste Noire. Etc. C’est comme une corde à linge : une fois qu’elle est bien tendue entre deux repères, on peut y accrocher tout ce qu’on rencontre, et garnir peu à peu sa mémoire de centaines d’histoires affriolantes. Alors que sans corde, elles tombent à terre, s’entassent et s’abîment.

 

- Combien de temps as tu passé à te documenter ?

Une vie. J’ai commencé par lire « Angélique marquise des anges », ce qui m’a poussée à me renseigner sur l’affaire des poisons et jetée dans les bras de Saint Simon, puis « Les rois maudits » et je suis devenue férue en templiers et guide touristique à la basilique Saint Denis. Je n’ai plus arrêté depuis.

Avant de commencer à rédiger, j’ai aussi consulté quelques uns de ces ouvrages intelligents qui questionnent la recherche historique, « Comment on écrit l’histoire » de Paul Veyne par exemple.

 

- Comment faire la part des ragots, de la propagande des faits probablement avérés dans les écrits des chroniqueurs de l'époque ?

Pour le Moyen-âge, qui est l’époque des chroniques, Favier le dit bien : « Les chroniques sont les sources les plus explicites. » Mais hélas, elles se réduisent parfois à un tissu d’âneries « un peu avinées » (l’expression est de l’historien Bruno Dumézil). Ce sont de purs outils de propagande, où la vérité historique est traitée avec une désinvolture digne de l’URSS. Comme le disait un vieux proverbe soviétique : « on ne sait jamais de quoi hier sera fait. »

Alors les historiens n’ont pas d’autre choix que de recouper les chroniques avec le peu d’écrits qui leur reste, et là je cite encore Favier : « le plus clair de la documentation est constitué par les actes officiels ». Le travail de l’historien est donc une longue, très longue plongée dans les actes notariés et les livres de compte. Tous les trois ans il en émerge, livre une somme et replonge.

 

- Tu couvres en trois cent pages quelques deux milles ans d'histoire ? Vaste programme, volontairement elliptique, comment as tu choisi les sujets à approfondir ?

J’ai approfondi ceux que je connaissais déjà. Les Templiers, d’abord, et la malédiction qu’ils ont jeté sur Philippe le bel et ses descendants ; l’affaire des poisons, bien sûr ; mais aussi tout ce qui a trait aux maladies (j’adore ça, ça me donne l’impression de vivre à une époque formidable), à la condition de la femme (et de l’enfant, et du paysan, et du juif, mon dieu ! Nous vivons une époque encore plus formidable que je ne le pensais. J’ai droit à un prénom, je ne suis pas morte en couche après avoir enterré dix de mes enfants, je n’ai pas d’abcès dentaire qui me ressort par le menton et on ne m’a pas jetée au bûcher comme un vulgaire fagot…) et aux problèmes de consanguinité des familles royales européennes. On ne dira jamais combien la manie des rois de se marier avec leur cousine germaine a aplani le chemin de la démocratisation en Europe. Quand votre dirigeant se résume à une paire de dents, vous commencez forcément à songer à d’autres formes de gouvernement.

Vraiment, je me suis fait plaisir dans le choix des sujets.

 

- As tu de la sympathie pour certaines des figures historiques citées ?

Oui, pour beaucoup. Je me suis cassé les dents sur la personnalité énigmatique et visionnaire de Philippe le Bel ; grâce à Duby j’ai vécu en direct l’agonie de Guillaume le Maréchal, « le meilleur chevalier du monde », et j’ai aperçu la vie brutale et misérable des chevaliers médiévaux ; j’ai essayé de discerner le vrai visage d’Henri III et de sa sœur Margot sous les crachats ; j’ai beaucoup plaint le petit Louis XVII et sa mère, qui entendait à travers le plancher son fils se faire battre par son garde-chiourme. J’ai vécu de longues, d’interminables journées à l’ennuyeuse Cour de Louis XIV au côté la princesse Palatine, j’ai bien ri avec madame de Maintenon quand elle a appris que certaines petites filles de son école refusaient de prononcer le mot « culotte » parce qu’il y a « cul » dedans (« Quelles finesses y entendent-elles ? »). Oui, j’ai de la sympathie pour la majeure partie des personnages croisés. Ils se débattent comme nous dans la contingence et en plus, ils sont accablés de rages de dents phénoménales.

Pour mieux les comprendre, je me suis attachée à retrouver leur visage quand l’iconographie le permettait. A travers les tableaux après 1350 et avant, grâce aux gisants, du moins ceux sculptés d’après nature ou masque mortuaire. On comprend mieux l’ambition gigantesque de Du Guesclin quand on a vu son gisant : il n’est pas plus grand qu’un gamin de onze ans. Problème : je ne pouvais pas faire un livre illustré. Alors j’ai mis sur mon site toutes les images qui m’ont aidée à apprivoiser nos ancêtres. J’ai aussi cherché à retrouver les lieux où ils avaient vécu : on comprend bien l’horreur du sort de Vercingétorix quand on est allé faire un tour dans la geôle verdâtre où il a été enterré vivant.

 

- Quelle opinion as tu sur Georges Duby, fréquemment cité dans tes lignes ?

Une admiration ébouriffée. Il est connu comme un excellent historien et, comme c’est aussi un excellent écrivain, il est devenu un vulgarisateur de génie. Il arrive à vous faire avaler les livres de compte d’une abbaye picarde en 1281 comme s’il s’agissait d’un polar bien enlevé.

 

- A défaut de pouvoir décrire la vie quotidienne du peuple, tu t'es rattrapé sur les maux des puissants. Une façon de prendre à contrepied l'histoire scolaire ?

Exactement. Impossible de comprendre les tribulations politiques françaises si on ne tient pas compte de la folie de Charles VI (qui a retardé la Renaissance en France d’un bon siècle), la vérole d’Henri VIII (qui a provoqué les guerres de religion) et les soucis dentaires de Louis XIV (qui ont accéléré la colonisation de l’Amérique du Nord). A se couper de l’histoire personnelle des puissants, on n’obtient qu’une liste de faits dénuée de sens. Les guerres sont toujours lancées par des gus qui ont des problèmes de digestion.

 

- La référence qui revient le plus souvent est l'ouverture des tombes royales à la Révolution ? Où as tu trouvé les références ? Dans quel esprit as tu introduit ces commentaires pour chaque fin de règne ?

Il y a un témoin direct, Dom Poirier, qui a relaté avec minutie cette lamentable profanation. J’ai recopié ses notes à la fin de chaque chapitre pour donner, comment dire ? Chair ? Pierre, plutôt, aux personnages historiques. Ces gens là ont existé, vous pouvez même aller sur leur tombe et vous pencher sur leur visage, chercher s’ils ressemblent à leurs père et mère allongés à côté. Je suis une fondue de Saint Denis, j’ai passé ma dix huitième année dans la basilique, à scruter toutes les pierres, les reliquaires et même les vieux graffitis au bas des cénotaphes. Je peux vous faire la visite guidée, si vous voulez.

 

- Crois tu vraiment que ton ouvrage s'adresse à ceux qui n'aime pas l'histoire ?

Et à ceux qui aiment, bien sûr. Mais j’espère apprivoiser ceux qui ont toujours peur de s’ennuyer s’ils y mettent un pied. C’est pour ça que j’ai insisté auprès de mon éditeur pour que le livre soit le moins cher possible. Pour que quelqu’un qui n’aime pas l’histoire se dise :

- Bon, à moins de 10 euros, je peux retenter le coup.

et lise mon livre, et s’amuse, et s’ouvre un champs immense de délices.

 

- Quels sont tes prochains projets ?

Quelques nouvelles, et un thriller bit’lit tout à fait modèle Twilight sauf qu’à la place du vampire, j’ai mis un appartement. Un deux pièces + cuisine à Bercy. Charme. Diagnostic énergétique cat. G. Fantômes à prévoir.

 

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Commentaires
T
Chouette interview. J'ai entendu parler du bouqin à la salle 101 (parce qu'on ne parle QUE de SF à la salle 101 :D) et ils l'avaient bien vendu. L'interview confirme que ce bouquin doit un jour rejoindre ma pàl.
G
Bravo pour cet interview !
G
C'est LE livre pour ma femme. Belle interview btw.
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