Trois époques et trois histoires qui s'emmêlent à travers les générations... De 1913 aux années 90, un même motif ensorcelle une jeune femme, les mythes irlandais viennent à elles dans la forme de l'époque, de Yeats à Neil Gaiman... Si le fond ressemble à la Forêt des Mythagos d'Holdstock, l'approche est différente plus onirique à travers le Migmus, la somme des mythes irlandais.
L'oisiveté me pèse et me déprime. La pluie semble avoir emporté la magie tout autant que le reste. Ai-je pris pour la réalité ce qui n'était que le songe d'une nuit d'été ?
1913, Emily Desmond est une jeune fille libérée de son pensionnat de bonne soeur pour les vacances. Alors que son père se plonge avec enthousiasme dans l'étude d'une comète, pensant y avoir découvert des extra-terrestre, elle découvre des créatures merveilleuses dans la forêt avoisinante... Une histoire qui tournera au drame tant pour le père que la fille.
Narration mêlant journaux intimes et correspondances, à la manière du Dracula de Bram Stocker, l'ambiance oscille entre le fantastique (évoquée par la présence de Yeats) et la rationalisation scientifique incarnée par le jeune Rooke, futur psychologue. L'ambiance de l'époque est bien maîtrisée, les sentiments nationalistes commencent à apparaître.
Et je redoute que tous les hommes, femmes et enfants des deux camps ne doivent finalement régler le prix de la compromission. La tragédie de deux nations dont les fondations ne reposent sur rien de plus solide que des mythes. Les mythes, mon cher Gogo. On ne peut ériger un pays sur ce qui est immatériel, pas plus qu'on ne peut nourrir ses enfants de belles paroles. Il est impossible de moudre les légendes pour les réduire en farine. Elles ne peuvent apporter une pluie bienfaisante ni être brûlées pour repousser la froidure hivernale. Ne comptez pas sur elles pour vous réconforter lorsque vous serez vieux, quand vous vous sentirez seul, quand vous connaîtrez la peur ou le besoin. Néanmoins, les hommes en alimentent leur progéniture, les mères dénudent leurs seins pour en abreuver leurs nourrissons : le Bon Roi Guillaume d'Orange, sur son destrier blanc, souvenez-vous de 1690, la bataille de La Boyne, On ne se rend pas ! De nouveau une nation, la Harpe qu'autrefois, dans les salles de Tara, Cuchulain enchaîna aux pierres dressées, cerné par l'ennemi, les martyrs de 1916, l'Enfant-soldat est reparti guerroyer...
Début des années 30, la guerre civile irlandaise, qui a suivie l'indépendance, ne semble pas totalement terminée... Jessica Caldwell, une jeune femme quelque peu mythomane s'est inventée un sombre prétendant, membre de l'IRA, histoire de se faire valoir vis à vis de ses amis. Alors qu'elle suis une thérapie avec le docteur Rooke, son amant lui appariait et l'idylle commence... Suite à une révélation dérangeante sur son passé de la part de sa soeur cadette, la jeune fille s'enfuira avec son amant. Le docteur Rooke, qui menait sa propre enquête sur le passé obscur de Jessica, le père de la jeune femme et deux vagabonds surprenants tenteront de l'arracher aux images mythologiques qui tentent de la prendre dans leurs rêts.
Une pensée angoissante m'assaille au coeur de la nuit : n'avons-nous pas perdu d'une manière ou d'une autre la capacité d'engendrer de nouveaux mythes adaptés à une société technologique ? Nous nous rabattons vers des archétypes mythiques d'un autre âge, une époque où les problèmes étaient plus simples que les nôtres, parfaitement définis. Il était alors possible de les résoudre d'un coup d'épée, une arme baptisée Duralibur ou quelque chose d'approchant. Nous avons créé un monde pseudo-féodal rassurant et stérilisés de trolls, d'orques, de mages, de chevaliers, de guerrières aux seins aussi plantureux que leurs armures succinctes et de Maîtres du Jeu ; un monde où le mal est personnifié par des hordes de méchants gobelins qui veulent envahir le pays des gentils Hobbits et non par la famine dans la corne de l'Afrique, l'esclavage des enfants dans les ateliers philippins, les caïds de la drogue colombiens, une économie de marché sans aucun garde-fou, les polices secrètes, la destruction de la couche d'ozone, la pornographie enfantine, les snuff movies, le massacre des baleines et la déforestation des tropiques.
Dans les années 90, la nuit, sabre et PDA en main, Enye MacColl tour à tour, est traquée ou traque,les phages, figures mythologiques irlandaises distordues par le modernisme, dans les recoins obscurs de Dublin. L'ambiance rappelle quelque peu celles du Neverwhere de Neil Gaiman mais remise dans la logique développée ici, par Ian McDonald. La narration tranche violemment, rythmée par des flashbacks savamment désordonné, qui laissent transparaître des freaks, anciens disciples de Rooke et des phages, précédement croisés, sympathiques mais quelque peu transformés. C'est à un rythme soutenu que l'on arrivera à la catharsis finale...
Au travers de l'évocation de son Migmus, concentré d'images légendaires, Ian McDonald tisse une trame très variée au cours de trois époques très différentes. Dressant au passage, le portrait de trois héroînes, reflets de leur époque. Du féérique à la fantasy urbaine, un roman parfaitement maîtrisé, très prenant, une grande réussite, un incontournable du genre.
Il m'a donné envie de le lire : Ubik sur le Cafard Cosmique.
Une lecture commune avec Isil.