L'équilibre des paradoxes de Michel Pagel
Que le lecteur veuille donc prendre bonne note de ce qui suit : aussi incroyable que cela puisse paraître, compte tenu du fait que tous les personnages figurant dans les pages qui suivent sont authentiques, de même que les lieux où se déroule l'action, les événements auxquels ils sont mêlés sont tous sortis de mon imagination (ou de celle de Jérôme Sauvage). Puisque auteur de fiction on me veut, auteur de fiction je serai, et l'on me tuerait désormais avant de me faire avouer que toutes ces choses, je les ai vécues, oui, vécues bel et bien. Que tous les jean-foutre, civils ou militaires, s'étranglent avec leur mépris.
Début du XXeme siècle, le journaliste Raoul Corvin et le couple Schiermer sont confrontés à une situation très atypique lors de leur participation à une séance de spiritisme, chez les Debien, visant à démontrer les activités de cambrioleurs de ce dernier. Le cambrioleur démasqué les entraine alors dans une aventure dont l'enjeu les dépassent.
Quelque temps plus tard, la veuve Debien et sa fille Gilberte se sont retirées pour l'été dans le manoir familial breton quand une tempête les frappent amenant à sa suite une brute démente, seule Amélie survivra à l'agression et au viol. Traumatisée et enceinte, elle s'enfermera dans ses terres. Quand ses amis Amélie et Armand Schiemer (militaire de son état), ainsi que Raoul Corvin fou d'amoureux d'elle, forceront sa porte et prendront connaissance de son histoire, ils réaliseront que ces évènements s'intègrent dans un schéma plus vaste. En effet la région semblent avoir été prise de folie au cours des jours précédant et suivant l'agression, ayant été signalé : un Hun, un guerrier musulman médiéval, une princesse russe, une cyborg... Tout en requinquant Gilberte, ils mèneront une enquête qui leur permettra de rencontrer quelques uns de ces personnages ainsi que d'autres plus discrets, dont Le Goëlec physicien des années 2200 et Sophie une hippie de 1969, qui leur permettront de saisir les causes de cette situation.
Le récit de Le Goëlec expliquait tout, ou presque, mais il était si fantastique, il recelait une telle profusion de détails incroyables, que nous nous demandions tous à des degrés divers si nous n'avions pas mangé de l'opium. Armand, Amélie et moi, qui n'avions pas été arrachés à notre époque par la machine du scientifique, éprouvions les plus grandes difficultés à ne pas considérer son histoire comme les divagations d'un dément. Oh, certes, nous avions ou estimions avoir la preuve qu'il disait la vérité, mais tout en l'admettant, nous ne parvenions pas à y croire tout à fait. A l'heure où j'écris ces lignes, j'ai toujours l'impression de vivre une sorte de cauchemar et de devoir me réveiller d'un instant à l'autre.
Bien qu'ils essayent de ménager leur hôtes, les naufragés du temps se rendront rapidement compte qu'ils ne proviennent pas tous de la même trame historique et pire que d'autres personnes issues de la trame alternative, plus sinistre, ont commencés à oeuvrer pour faire de celle-ci une certitude. La petite troupe décidera donc de passer à l'action pour préserver leur réalité.
Quant à moi, deux facteurs ont emporté ma décision : ma curiosité naturelle (on n'a pas tous les jours l'occasion de vivre pareille aventure) et le fait que Gilberte, sans me consulter le moins du monde, se soit déclarée décidée à suivre le mouvement. Il y avait alors dans son regard une lueur dure que je ne connaissais pas, et j'ai compris qu'elle désirait retrouver l'être qui lui a fait subir ce qu'on sait, peut-être le tuer de ses mains. Il serait sans doute inutile de chercher à l'en dissuader, aussi n'ai-je point essayé. J'essaierai pourtant, le moment venu, d'empêcher ce geste : je sais trop les remords qu'on éprouve d'avoir supprimé une vie, même celle d'un salopard, pour autoriser Gilberte à subir un tel calvaire.
Le récit constitué des journaux intimes des deux époux Schiermer ainsi que ceux de Raoul, Gilberte et des enregistrements sur cassette de Sophie est varié et très vivant, chaque narrateur ayant sa voix propre. Notamment Amélie qui commence à avoir conscience de la condition des femmes à son époque. Les moeurs des années 1900 sont bien rendus et notamment le choc face aux moeurs et au langage très libre de Sophie.
L'histoire se déroule toute seule, on la lit avec plaisir, même les hallucinations et les décisions sous acide de Sophie passent bien. Une belle aventure à la Belle Epoque, Michel Pagel joue avec les paradoxes temporels multiples sans se perdre en chemin, retombant parfaitement sur ses pattes. Un bon moment.
Elle m'a donné envie de le lire : Lhisbei. Merci M'dame.