Journal des années de poudre de Richard Matheson
En une dizaine d'années Clay Halser est devenu une légende, le gamin qui a accomplit un acte héroïque au cours la guerre civile est devenu un tueur redouté, dont les faits d'arme en tant que marshal enflamment les magazines de l'Est américain. Quand le journaliste Frank Leslie, le croise à nouveau dans l'Ouest c'est toutefois un homme brisé qu'il retrouve.
Le silence menaçait de nouveau, aussi dis-je rapidement :"Eh bien, tu as fait un bon bout de chemin depuis la guerre ! Cela a dû être long et intéressant." Je m'efforçai de sourire. "Et aventureux", ajoutai-je.
Le triste sourire qui accompagna sa réponse fut le plus amer et le plus las de tous ceux que j'avais vus jusqu'alors.
"Oui, les conteurs d'histoire l'ont rendu très coloré", dit-il. Il s'adossa en arrière en soupirant profondément, le regard fixé sur moi. "Moi-même j'y ai cru, à un certain moment. Maintenant je prends ma vie pour ce qu'elle a été. Le tour de ses yeux se contracta. "Franck ç'a été terne, sale et sanglant."
Je ne sus que répondre à cela et, malgré ma résolution, je laissai une fois de plus, le silence s'installer entre nous.
Frank assistant peu de temps après à la fin de Clay, il se retrouve être son exécuteur testamentaire. Dans les affaires du défunt, il trouve le journal que ce dernier tenait depuis la guerre. L'occasion pour le journaliste de narrer la véritable histoire de Clay Halser expurgée de la prose lamentable de l'aventurier, des longueurs et surtout des exagérations des chroniqueurs. Du gamin au marshal légendaire, de l'enthousiasme au désenchantement, le récit entrecoupé des commentaires de Leslie retrace l'ambiance des villes où le bétail étaient négocié : cowboys en quête de distraction, truands et escrocs, parrains locaux, violence omniprésente... Le moindre fait d'arme est exagéré puis repris dans les journaux de l'Est où la population civilisée est assoiffée des récits aventureux de l'Ouest. Le retour de ces textes dans l'Ouest n'étant pas sans conséquence pour leurs sujets, rapidement dépassés par leur légende.
Avec le recul, on peut noter dans les écrits de Clay, durant cette période, l'apparition de ce que l'on pourrait appeler une "sur-assurance".
Bien que simple humain, il semble avoir une confiance dans sa force, défiant toute logique. Sa façon d'affronter neuf hommes et de leur demander de déposer leurs armes est révélatrice de sa présomption.
Le fait d'écrire qu'il est prêt à déclarer la guerre au vaste empire Griffin prouve à la fois son courage et sa témérité.
On peut même s'autoriser à penser que Clay se croyait sincèrement capable de faire face à n'importe quelle situation critique, malgré le danger.
La légende avait commencé à éclipser l'homme.
Richard Matheson livre ici une chronique échevelée d'une brève période légendaire de l'Ouest. Malgré ses exploits Clay reste humain, tout en nuance de gris, du fait de sa carrière en dents de scie. Tour à tour gamin fuyant la justice, victime des apparences, bandit, marshal et joueur professionnel sur le retour. Des premières bases de la légende à la lente déchéance, l'usure du stress et des décisions difficiles est extrêmement bien rendu. Ca défouraille à tout va pendant un temps puis se calme avec l'inexorable chute qui n'est pas sans évoquer la seconde partie du film "L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford" ou le roman Deadwood (en moins racoleur). Un court roman crépusculaire, à dévorer, et surtout un très bon moment de western.
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