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Les lectures d'Efelle
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3 novembre 2010

Rosée de feu de Xavier Mauméjean

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"Relevez votre manche droite."
Les garçons s'exécutent. Ils savent ce qui les attend.
"Présentez l'avant-bras à votre dragon."
Le souffle de la bête suffit à brûler leur chair. Tatsuo serre les dents, réprime un grognement de douleur. Dorénavant, chaque pilote porte la marque de sa monture, comme un sceau qui le distingue des autres. Ce lien ne peut être rompu que par la mort.
Un moment de douleur honorable qui met fin à leur apprentissage. Désormais, Tatsuo et ses compagnons sont parés au combat.

1944, dans un monde où les dragons existent et prolifèrent en Asie, montures ancestrales des guerriers chinois et japonais, la Seconde Guerre Mondiale arrive à son terme...
Les dragons d'élevages japonais commencent à crouler sous la masse des avions de chasse de la flotte  américaine. La défaite se profile à l'horizon, inexorable, les dirigeants des forces armées envisagent d'autres méthodes de combat pour harasser l'ennemi.

Guam tombe le 21 juillet, et Tinian le 24. L'ennemi n'a que faire des pourparlers. Tojo aussi s'en désintéresse. Reclus dans sa résidence de Setagaya, à quatre-vingt kilomètres du mont Fuji, il sait que son rôle est terminé.
Mois après mois, la détermination de l'adversaire conforte Obayashi dans ses choix. L'âme du Japon resplendit de vertu, telle la lame d'une épée neuve. Mais son brillant ternit s'il n'est pas entretenu. Tojo a rouillé l'âme nippone, et pourtant l'éclat demeure. Il suffit de polir le sabre à nouveau.

Récit crépusculaire, sans fioritures ni pathos, narrant trois destins au sein de cette guerre. Hideo le jeune garçon qui suit la guerre à travers le prisme de la propagande, son frère ainé, Tatsuo, ayant dû abandonné ses études supérieurs pour devenir pilote et enfin Obayashi, jeune officier de carrière ayant définit la stratégie du sacrifice volontaire.

Au sortir de la réunion, Obayashi se retrouve seul avec l'amiral Onishi. Celui-ci paraît las, sa bouche est marquée d'un pli amer.
"Nous avons engendré un monstre", lâche-t-il soudain.
Obayashi se raidit. Comment l'initiateur du projet peut-il tenir pareils propos, alors que les victoires s'accumulent ? Maintenant que les hésitations de Fukudome sont levées, la bonne conscience de Takijiro Onishi n'a-t-elle plus de rempart ? Ces scrupules tardifs heurtent le maître archer qui demande :
"Amiral, que peut-on espérer d'autre ?"
Son supérieur grimace un sourire et répond :
"Finir écrasés par une bombe. Mais je suppose que c'est beaucoup trop demander."

Tandis que Hideo joue dans la cour de récréation à rejouer les victoire en Chine, Tatsuo goûte à la chance d'être trop talentueux pour qu'on lui demande de se porter volontaire au suicide. Il doit escorter et protéger de la chasse ennemie ses camarades lors de leur dernier vol. Obayashi de son côté, effectue la tâche que l'on attend de lui, détaché des contingences matériels et du doute, arpentant la voie du Kyujustsu et regardant de haut ses supérieurs.

Les pilotes escorteurs sont harassés. Durant leurs maigres heures de sommeil, ils dorment tout habillés. Ainsi, il suffit d'enfiler ses bottes avant de courir jusqu'à la piste. Tatsuo a pris l'habitude de fumer. A mesure que le tabac se consume, il semble recouvrer de l'énergie. Exactement l'inverse d'un Ryû-jin qui s'affaiblit en brûlant son hydrogène. Plus qu'opposés, pilote et monture sont complémentaires, Tatsuo en est persuadé. Il se sent davantage proche de Taro le dragon que de ses camarades.

Mêlant histoire réelle, avec son lot d'atrocité et de carnages, à son univers fictif, Xavier Mauméjean retrace la chute inexorable du Japon. Une place importante est accordé aux réminiscences, rappelant les horreurs commises par l'armée japonaise et permettant de situer les personnages historiques et leur évolution. L'introduction des dragons en lieu et place des avions, permet tant la mise en place d'une complicité entre l'homme et sa monture, qu'une conclusion à la fois tragique, ironique et originale à cette guerre.

"Votre tension est basse, je vais vous faire une piqûre de glucose."
Tatsuo relève sa manche, c'est vrai qu'il n'en peut plus. L'escorte des volontaires vole fréquemment à des hauteurs comprises entre sept et dix mille mètres, par une température pouvant avoisiner les - 60°. Son organisme est malmené par la faible pression atmosphérique. Sans parler de la raréfaction en oxygène que compense à peine le masque. Les consignes de vol préconisent une mission par mois à ces hauteurs, et il en fait pratiquement une tous les jours. Même Taro, son dragon, semble rechigner à prendre l'air. En-a-t-il assez d'affronter des machines volantes, ou est-il sensible au sacrifice de ses congénères ? Tatsuo l'ignore, impossible de lire quoi que ce soit dans ses yeux d'or. Mais le fait est là, Taro souffle bruyamment avant de s'engager sur la piste.
Etrange époque qui voit un Ryû se détourner des cieux.

Trois points de vue complémentaire sur la fin de cette guerre, un texte sombre et clinique, très efficace et bien documenté. Xavier Mauméjean réussit son pari et son récit théâtral se lit tout seul, un excellent moment.

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