Les nombreuses vies de Cthulhu par Patrick Marcel
Dernière chronique de l’année et premier contact avec la Bibliothèque Rouge des Moutons Electriques. D’après ce que j’ai glané le principe serait de s’emparer d’un personnage de fiction et de lui fournir une biographie comme un personnage réel. S’agissant de Cthulhu, l’exercice apparaît casse gueule mais Patrick Marcel s’en sors extrêmement bien en évitant l’écueil du Mythe de Cthulhu d’August Derleth, n’hésitant d’ailleurs pas finalement à tacler ce dernier. Pour asseoir cet essai, Lovecraft est présenté comme l’héritier des documents de la véritable enquête sur l’Appel.
Comme nous l’avons dit, il a déjà eu l’occasion de tirer la matière de certains de ses textes de faits-divers locaux aux connotations fantastiques. Lovecraft se met à l’ouvrage durant l’été 1926. Mais avant qu’il ait pu achever la rédaction, il apprend la mort de Thurston, apparemment victime d’une banale crise cardiaque en pleine rue. Un marin qui se trouvait sur les lieux a essayé de lui porter secours, mais Thurston était mort avant l’arrivée d’un docteur. Lovecraft hésite, et transforme le rapport aride en une nouvelle qui sera refusée dans un premier temps par Farnsworth Wright, le directeur littéraire de la revue WeirdTales.
Patrick Marcel établit des connections avec des affaires se déroulant à la même époque et présentant des traits communs, notamment les bouleversements volcaniques et géologiques dans le Pacifique par un des romans fantastiques de Conan Doyle par exemple, les emprunts à la littérature de la fin du XIXeme et début du XXeme sont nombreux et assez habiles (ils se basent aussi sur les travaux des amis de Lovecraft et de quelques uns de ses disciples).
L’essai se poursuit suivant quelques thématiques en décortiquant les évènements les plus frappants décrits par Lovecraft, Cthulhu tendant alors à s’effacer pour laisser place à nombre d’entités, d’origines différentes, toutes aussi terrifiantes.
Sont-ils vraiment des dieux ? Ils paraissent incarner les caractéristiques d’un univers absurde, hostile, infiniment dangereux. Nous avons vu leurs actes s’expliquer de diverses manières, sans que jamais aucune explication ne soit totalement satisfaisante. A de multiples reprises, nous avons vu ceux qui entraient en contact avec eux périr de façon terrible. Oui, ils correspondent à l’idée qu’on peut se faire de dieux. Mais si ce sont des dieux, ce ne sont pas les nôtres.
Cet essai est une grande réussite, on se régale en le lisant et retrouvant les textes les plus emblématiques de l’œuvre de Lovecraft ainsi que les associations avec d’autres travaux, les emprunts ne se limitent d’ailleurs pas à la littérature mais lorgne aussi vers le cinéma et la télévision. Le tout étant rédigé comme une suite d’enquête ou de narration de faits avérés. Un bel hommage et un vrai régal à lire.
A cela s’ajoute une chronologie des faits narrés, une courte biographie de Lovecraft suivi d’une bibliographie, puis deux nouvelles. Des chats, des rats et Bertie Wooster de Peter Cannon propose un point de vue alternatif à la nouvelle Des rats dans les murs, amusant et ironique sans plus, par contre Le grand éveil de Kim Newman est excellente, nous plongeant dans la Californie de 1941, l’ambiance d’un roman noir calqué sur l’univers de Lovecraft, superbe et prenant : on en redemande.
Les nombreuses vies de Cthulhu se révèle une excellente lecture accessible au novice et incontournable pour les amateurs. Abondamment illustré, cet essai est très agréable à parcourir, érudit sans être pédant, bref un vrai bonheur !