img184

Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n’ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière ; et c’est plus gras, c’est plus trouble et plus limoneux que le pot d’aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c’est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l’ivresse. 

Avec Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski nous offre la suite et la conclusion de la nouvelle Mauvaise donne incluse dans le recueil Janua Vera. L’univers est le même et nous reprenons le fil quelque mois après la conclusion de la nouvelle qui introduit Benvenuto l’assassin et le patricien Leonide Ducatore. La guerre a eu lieu et la République a remportée une victoire éclatante contre Ressine. Il n’en reste pas moins que la position de Ducatore est instable et qu’il va avoir besoin de Benvenuto pour élaguer quelques branches patriciennes qui lui font de l’ombre et négocier avec le Chah de Ressine, pour conclure une paix durable. Paix que la République ne souhaite pas particulièrement. 

C’est reparti pour la valse des intrigues à une échelle beaucoup plus grande que dans Mauvaise donne. Il y a beaucoup plus de joueurs autour de la table et Benvenuto est devenu une pièce maîtresse, mais néanmoins sacrifiable. Difficile de survivre dans un tel nid de vipères surtout quand votre seigneur est un émule de Machiavel. 

Compte tenu du double contrat que j’avais rempli, il aurait été trop compromettant pour mon patron de s’afficher publiquement avec moi. D’un autre côté, il fallait aussi m’honorer, ce qu’il avait fait en me laissant aux soins de son fils. De plus, même un débile mental comme Mucio pouvait se trouver utilisé par un manipulateur aussi fin que Leonide Ducatore. Le Podestat savait que son fils était méprisé par l’aristocratie : publier l’amitié de Mucio pour moi, c’était me traiter en familier, mais aussi me discréditer en tant qu’homme de main ou de confiance. Une façon subtile de désarmer les soupçons qu’on pourrait nourrir sur mon action, en tablant sur l’association inconsciente qu’on établirait entre le crétin et don Benvenuto. Enfin, il y avait un autre volet aux calculs du Podestat. J’étais le seul témoin ciudalien de ses petits trafics avec l’ennemi. J’étais sur le fil, d’autant que j’étais bien placé pour savoir que le Podestat n’avait aucun scrupule à se débarrasser des gêneurs. En me donnant son fils pour compagnon de table, et même mieux, en m’offrant son fils pour goûteur, le Podestat me faisait savoir que je n’avais rien à craindre. Un gage personnel de bonne foi. Du moins, pour l’instant… 

Plus qu’une simple suite de Mauvaise donne, ce roman reprend tout le panorama dépeint par petites touches dans Janua Vera et l’approfondit. Ciudalia apparaît plus que jamais comme un croisement entre Venise et Florence en pleine renaissance tandis que les royaumes alentours sont encore au Moyen Age. Royaumes dont on apprendra beaucoup tant leur géopolitique et leur histoire ont été influencées par la république.

La touche fantasy est toujours très légère, la magie dans cet univers est faite d’envoutement subtil et non de déferlements pyrotechnique, les races étrangères sont peu présentes, intégrées parmi les hommes et dépeintes avec habilité. On retrouve ainsi avec plaisir, Annoeth, l’elfe insouciant du Conte du Suzelle mais présenté sous un jour plus tragique.

Cet univers est de fait bien agréable et très envoutant, la démarche de l’auteur le rapprochant de Guy Gavriel Kay (Les lions d’Al Rassan ou Le dernier rayon du soleil) et de Laurent Kloetzer (Le royaume blessé).

A tout cela s’ajoute la gouaille du narrateur et les tours qu'il n’hésite pas à jouer au lecteur putatif de son témoignage.

Le récit est sans faille, les rebondissements nombreux, les trahisons et coups de théâtre s’enchaînent, émaillées par quelques scènes d’actions trépidantes. Benvenuto n’est pas omnipotent, échoue, met les pieds dans le plat et connaît le doute régulièrement. 

Avec Gagner la guerre, Jaworksi signe ici une fresque magistrale avec un personnage principal très attachant et une superbe galerie de personnages secondaires. On s’attache à tout ce petit monde qui s’agite dans une lutte de pouvoir où les puissants entraînent les humbles dans leur chute ou déchéance. Des intrigues enlevées, de l’action, des scènes marquantes et des personnages bien campés dans un univers fascinant, Gagner la guerre est un roman incontournable en fantasy ! 

Leonide Ducatore avait autant de motifs de m’en vouloir que le clan Mastiggia, et j’avais trimardé obstinément sur des routes mortelles pour me jeter dans la gueule du loup. Même Belisario ne me serait d’aucune protection dans ce cas de figure : s’il apprenait que j’avais culbuté sa sœur, le jeune preux serait sans doute le premier à vouloir me fendre la coquetière. Je me souvins des ombres qui avaient visité mes songes au cours de la nuit où j’avais failli périr de froid, et de ce que m’avait dit le fantôme de Welf : On n’attend plus que toi, Benvenuto. On te garde une place. Tu nous rejoindras bientôt, à Ciudalia. Mission accomplie, les gars. On n’allait plus tarder à pouvoir taper le carton.