Ganesha, Mémoires de l’homme –éléphant de Xavier Mauméjean
Quelqu’un a dit que, si un dieu disparaît, on le retrouve à
Londres. J’ai moi-même rompu des liens imposés par la naissance pour venir y
échouer, comme le ferait un navire dans la mer des Sargasses, contraint tout
d’abord par la molle captivité, puis retenu par cette seconde nature qu’est
l’habitude. Je ne suis pas le seul à avoir fait ce choix et, du temps où je
pouvais sortir la nuit, il m’arrivait parfois de croiser Protée. Jadis, ce
petit dieu grec pouvait changer de forme à volonté. Son insatiable curiosité le
poussait à espionner ses pairs qui, excédés, finirent par réclamer justice à
Zeus. Le souverain de l’Olympe accueillit les doléances puis rendit sa justice.
Il transforma Protée en sable mouvant, lui interdisant ainsi de se solidifier.
D’une certaine façon, sa condition devint l’inverse de la mienne, si
désespérément matérielle, mais nos esprits pensaient à l’unisson. Tout comme
moi en venant à Londres, Protée en adopta les usages, et tira profit de son
état. Il devint marchand de sable, collectionnant les yeux des dormeurs afin
d’observer leurs songes. Ainsi, Protée continue-t-il d’exercer son vice, mais
ne m’a jamais tourmenté. Rends-moi service, Sandman, arrache les yeux de ceux
qui m’étudient ou m’espionnent.
Dans ce roman, Xavier Mauméjean, s’empare de Joseph Merrick, plus connu sous le nom d’Elephant Man et pose le postulat suivant : Et si Merrick était l’incarnation du dieu hindou Ganesha ? Ces difformités étant le résultat de son caractère divin.
Dans cet optique, il nous entraîne dans le journal intime de Merrick, son quotidien nous est dévoilé de même que son influence sur Londres qui croît suite à son aide dans la résolution d’une série de crime.
Mauméjean rend bien l’Angleterre victorienne et le quartier londonien de Whitechapel. Dans cette misère urbaine, les déments criminels abondent et la sagacité du dieu éléphant sauve quelques vies au fil de quatre saisons. Chacune d’entre elles est d’ailleurs introduite par une illustration assez subtile.
Cerise sur le cadeau, on évite une énième adaptation autour de Jack L’Eventreur, les intrigues sont d’ailleurs bien différentes.
Le style est très fluide et se lit très agréablement. Aux
enquêtes se mêlent les réflexions de Merrick sur le monde qui l’entoure,
lui-même, son passé de phénomène de foire.
Une belle allégorie sur la fin d’une époque avec l’arrivée du monde moderne et scientifique, la fin des mythes. Un récit tout aussi brillant que La Vénus Anatomique, mais beaucoup plus accessible, que l'on dévore rapidement.
Mauméjean entre finalement dans mon panthéon personnel et
l’on se retrouvera bientôt pour parler de Liliputia.
Quand je serai mort, je veux que l’on m’enferme dans une
bouteille géante. Dans ma bonbonne remplie d’alcool, les pores enfin saturés
d’ivresse je flotterai, pour la postérité. Plus tard, lorsque le dernier étudiant
aura assisté à l’ultime leçon d’anatomie, on balancera le flacon à la Tamise. Roulant sur les vagues, je confierai mon message à l’océan et finirai échoué sur une
plage, attendant mon libérateur.
Je n’exaucerai pas ses vœux.