« Le village, enfin le tas de dunes, est à trois cent
mètres sur la droite. Les puisards sont les seuls survivants que nous ayons croisés depuis ce matin et
ils étaient à ce point hébétés qu’ils n’ont pas compris qui nous étions, ni ce
que nous demandions : un peu d’eau non souillée, une chaise où s’asseoir,
un pan de mur encore droit où adosser nos plaies. Il faut les comprendre. Les
dégâts sont immenses : maisons détruites jusqu’aux meubles, vélichars, éoliennes…
Parfois tout a été embarqué. Quelques enfants aussi, les rares bêtes. Leur
récolte noyées de sable. Des mois à pelleter, à dégager, à reconstruire sous
les rafales en espérant finir avant le prochain massacre, dans deux ou trois
ans, et finir mieux, moins ébranlable ! »
Un monde où le vent souffle avec rage. Des sociétés se sont
adaptées à cet environnement, en tentant de se prémunir contre lui ou en
l’exploitant : cités se blottissant derrière des digues, haute tour bâtie
au dessus des éléments, enclaves abritées par le relief, nomades se propulsant
avec des éoliennes. Le monde d’Alain Damasio malgré son originalité fait preuve
d’une grande cohérence (on est loin de la Planète des Ouragans de Serge Brussolo) et la présence d’une faune
fantastique ne perturbe pas le récit.
Au sein de cet société, un ordre hermétique lance
régulièrement un groupe d’individus, formés et sélectionnés depuis l’enfance
pour remonter à la source du vent : la Horde.
C’est une partie du périple de cette dernière qui est conté.
Le style de ce roman est assez déroutant au début, chaque membre de la Horde est affublé d’un sigle (résumé sur un marque page dans l’édition poche), sa présence en début de paragraphe signalant l’identité du narrateur. Le vocabulaire inventé et la ponctuation détournée pour décrire le vent surprennent aussi. Par contre en maniant en virtuose, l’ellipse et le flash back, le récit est très dynamique et pas répétitif.
La Horde refuse l’emploi de moyen de transport par philosophie. Seule un groupe endurci par le trajet à pied depuis l’Extrême Aval aura une chance de franchir les obstacles, naturels ou humains barrant la route de l’Extrême Amont (illustrée par la numérotation à rebours des pages). L’odyssée axée sur le dépassement, très variée (du contrevent à la joute verbale), rebondie régulièrement, les personnages évoluent et se révèlent peu à peu, de la subtile Oroshi au très fruste Golgoth.
« Mon père m’a viré à cinq ans pour me lâcher sur
Aberlaas. Mais il a quand même eu le temps de m’apprendre une chose : le
respect de mon nom. Devant mon nom, y a qu’un seul objectif que je
tolère ; c’est « neuvième ». J’aurais pu te saigner d’un jet,
petite gueule, mais je vieillis. Et j’espère que toi aussi tu vieilliras assez
pour te souvenir de mon nom. Et si dans deux mois, un aqual me suce et que tu
retrouves mon sac de peau sur une plage, avec la carte de ma vie tatouée
derrière, tu la prendras et tu la cloueras au mur de ta putain de cabine !
Peut être que ça te donnera une idée, même vague, de ce qu’est le courage. »
Conte philosophique et aventure fantastique, la Horde du Contrevent est un très beau roman, bien écrit et tout aussi bien mené. Si vous n’avez pas peur d’être emporté par un furvent ou changé un chrone, n’hésitez pas !
La numérotation à rebours a-t-elle une vraie raison d'être ?