Pieds d’argile de Terry Pratchett
« Ces noms ne me disent rien, j’en ai peur. »
Le doigt de Vimaire se crispa sur la gâchette de l’arbalète.
« Non, dit-il en respirant profondément. Sans doute.
L’enquête se poursuit et on risque de trouver d’autres chefs d’accusation.
Votre tentative d’empoisonnement du Patricien est pour moi une circonstance
atténuante.
- Vous voulez vraiment me mettre sous le coup d’une
inculpation ?
- Je préférerais vous
mettre des coups tout court, dit Vimaire d’une voix forte. Mais je vais devoir
me contenter d’une inculpation. »
Retour sur le Disque Monde à Ankh-Morpork exactement pour
suivre une nouvelle enquête du guet. « Guet des Orfèvres » était
quelque peu brouillon, ce dix neuvième livre des annales du Disque Monde efface
les défauts de cette précédente aventure des policiers les plus déjantés mais
aussi les plus attachants de la fantasy.
Vimaire revient sur le devant de la scène et les autres
membres du guet se partage équitablement les seconds rôles.
De l’héraldique, une tentative d’empoisonnement du
Patricien, des assassinats, des Golems au comportement étrange et un complot
composent la trame de ce roman. Les thèmes abordés sont nombreux aussi bien le
sexisme chez les nains, les doutes d’Angua à propos de sa double vie, l’intolérance
latente et maîtrisée de Vimaire, l’aveuglement candide de Carotte…
Tout cela est passionnant et le livre se lit quasiment tout
seul et sans effort ce qui n’est pas sans rappeler le cultisime et récent
« Ronde de Nuit ». A bien des égards, ces deux romans se ressemblent
même si le dernier conserve une légère longueur d’avance.
La recette d’un Pratchett au mieux de sa forme fonctionne
donc parfaitement : de l’humour, un univers délirant, de la noirceur, une
pointe d’angoisse, de l’espoir et un regard lucide sur le monde. Mission
accomplie, « Pieds d’argile » est un des meilleurs moments des
annales du Disque Monde et tient son rang sans problème à côté de « Ronde
de Nuit », « Le Faucheur », « La Vérité » et
« Les Petits Dieux ».
« Vous êtes sur pour Cerceau, monsieur ? demanda
Côlon en le rattrapant.
- Eh bien, est-ce que vous lui
faites confiance ?
- A Cerceau ? ‘videmment
qu’non !
- Voilà. Il n’est pas fiable,
donc on ne se fie pas à lui. Alors on sait à quoi s’en tenir. Mais je l’ai vu
requinquer un cheval que tout le monde disait bon pour l’équarrisseur. Les
vétérinaires sont obligés d’avoir des résultats, Fred. »
La stricte vérité. Quand un docteur, après force saignées et
ventouses, s’aperçoit qu’un patient est mort de désespoir pur et simple, il
peut déclarer « Crénom, la volonté des dieux, ça fera trente piastres s’il
vous plaît. » et s’en repartir en homme libre. C’est parce que l’être
humain, techniquement, ne vaut rien. En revanche, un bon cheval de course peut,
lui, valoir vingt mille piastres. Le vétérinaire qui en laisse un partir trop
tôt pour le grand paddock céleste risque d’entendre, s’échappant d’une ruelle
sombre, une voix lui glisser quelques mots comme « Monsieur Chrysoprase
est très contrarié » et connaître une fin de vie fertile en incidents.