Bloodsilver de Wayne Barrow
Issue des quatre coins de l’Eurasie, d’étranges créatures
débarquent en Amérique du Nord. Nommés stryges ou broucolas qui devient
Brookes.
Nous sommes en 1691, Wayne Barrow nous conte la naissance de
l’état américain dans un monde où une autre race intelligente et humanoïde
existe. De ces vampires l’on sera peu de choses sur leurs origines, le sujet du
roman est la fondation des Etats-Unis d’Amérique avec cette étrange communauté
en son sein.
Race surhumaine craignant seulement l’argent et de plus
marginalement le soleil, les Brookes tracent un sillon sanglant dans les
premières années de l’histoire de l’Amérique. Organisés en convoi, ils
thésaurisent le métal qui constitue leur
seule faiblesse.
Dans ce roman Wayne
Barrow réécrit l’histoire de 1691 à 1915 en s’appropriant quelques faits et
personnages historiques : le procès des sorcières de Salem, Doc Holliday,
les Dalton, Billy the Kid, Lincoln, Roosevelt, la veuve Winchester,
Mark Twain…
Une Amérique changée mais pas différente concernant le comportement des colons vis-à-vis des amérindiens ou des populations africaines ou asiatiques.
« Néanmoins, il y avait dans ce terrifiant sourire
comme l’amorce d’un regret quand il demanda :
- J’ai évidement l’apparence d’un monstre à vos yeux, n’est
ce pas ?
La question me prit de court. Toutefois, je n’osai mentir.
Je me contentai d’une réponse évasive :
- Chacun de nous a sa part d’ombre…
-Quoi de plus vrai en ce monde, monsieur Twain ? Comme
je suis heureux que vous me compreniez si bien. Nous avons un proverbe, qui
remonte à la nuit des temps, qui dit ceci : « Chacun de nous est
une lune, avec une face cachée que personne ne voit. » J’aime croire que
la Famille est comme la face cachée des hommes, monsieur Twain.
Tandis qu’il parlait, j’observais, fasciné, les mille rougeoiements dans le fond de ses yeux, qui demeuraient fixes. Je compris alors qu’il ne voyait pas – du moins, pas comme nous y sommes habitués. Le Staroste était aveugle. Mais ses autres sens, y compris ceux qu’aucun humain ne possédait, compensaient largement sa cécité.
- Vous prétendez que nous partageons une nature commune ? m’enquis-je.
- Cela a l’air de vous heurter. Pourquoi ?
Réfléchissez-y, monsieur Twain. Je vous sais favorable aux thèses
émancipatrices et abolitionnistes. Vous reconnaissez en tout homme, quelle que
soit la couleur de sa peau ou la forme de ses traits, un semblable. Pourtant,
quel rapport entre vos coutumes et celle d’un habitant du cœur de
l’Afrique ? Un Chinois ou un Japonais ? Un observateur impartial
pourrait conclure que vous n’appartenez pas à la même forme de vie, tant vos
comportements ordinaires diffèrent. Pourquoi en serait-il autrement avec les
membres de
ma Famille ?
- Mais parce que vous vous comportez de manière odieuse avec nous, voilà pourquoi !
A cet instant, toutefois, j’avais compris que le Staroste m’avait piégé et conduit là où il le souhaitait.
- Et comment vous comportez-vous avec vos frères rouges du
Nouveau Monde, monsieur Twain ? »
Ainsi les récits mettant en scène les vampires Brooke sont
alternés par quelques textes sur la conquête de l’Ouest et les relations avec
les populations natives. Que ce soit par la bouche de Billy the Kid,
psychopathe éminemment raciste ou celui d’un vétéran du 7e de
cavalerie hantée par la revanche prise sur Little Big Horn, des évènements sanglants sont
retracés sans que les Brookes y ai une place autre qu’anecdotique.
« Dwight avait vu les simples foulards ou les écharpes
brodées qui protégeaient leur face. Il s’était vu reflété sur les verres
sombres, une vingtaine de soldats aux visages identiques, portant une vieille
tunique au bleu passé, regroupés au centre de Wounded Knee.
- Approchez ! avait hurlé Dwight en tirant son sabre.
Les cavaliers sombres étaient demeurés sans réaction.
- Venez vous battre comme des soldats, comme des
indiens !
Pas un ne bougeait. Toute l’horreur du massacre lui était
remontée alors à la gorge. Dwight s’était affaissé sur sa selle et avait dit en
pleurant : - Je vous prie, ayez pitié, achevez-moi…
L’un des cavaliers s’était penché et avait ôté son foulard.
Dwight avait cru entrevoir ses dents, mais le Brooke s’était contenté de le
renifler.
-Tu es marqué, humain, bien plus que ne le sont les gens de
mon peuple. Va, et dis aux tiens ce que tu sais de la Famille mais
personne n’écoutera Caïn. »
Ce peuple qui au final aura massacré moins que les colons
humains atteindra son objectif pour se terminer sur un retour ironique en Europe.
« Les gars comme toi, et même des femmes, depuis
quelque temps, tous veulent savoir pourquoi on finit par abdiquer. Toi qui es
un lettré, tu vas pouvoir comprendre. Dans ta bibliothèque, tu as peut être ce
livre où on trouve des moulins et un vieux chevalier…
- Don Quichotte de la Manche, réplique aussitôt Sam, par
réflexe.
- J’étais comme lui, mais je l’ai compris sur le tard, quand
je me suis retrouvé le seul survivant de la Horde. »
Une histoire de l’Amérique sans guerre civile autre que la
lutte contre les Brooke, le génocide des indiens : la naissance d’une nation…
Une réécriture agréable et efficace, un bon roman où l’on ne s’ennuie jamais et
ce malgré un postulat de départ pour le moins déroutant.